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stance, sa fortune personnelle à la place du trésor public, et habituant l’empire à reconnaître en lui un régulateur plus juste et plus libéral des besoins de tous, que n’était le gouvernement du sénat. Des provinciaux dévoués à ses projets lui servaient de négociateurs, tantôt près de leurs compatriotes, tantôt à Rome, près des chefs de parti, des sénateurs et des tribuns. La correspondance de l’Espagnol Balbus, conservée dans celle de Cicéron, nous montre quelle était la puissance de ces agens étrangers, et comment, jusqu’aux portes du sénat, ils venaient signifier les volontés de César, et arbitrer, suivant le mot de Tacite, les conditions de la guerre civile ou de la paix[1].

Enfin commença, dans l’hiver de l’année 705 de Rome, quarante-neuvième avant J.-C., cette guerre civile qui contenait le germe d’une si grande révolution politique et sociale. César y recueillit ce qu’il avait semé. Il vit tout aussitôt la Cisalpine se déclarer pour lui ; une partie de l’Illyrie en fit autant ; l’Épire, l’Étolie, et successivement la Thessalie et la Macédoine, travaillées par des amis ardens, passèrent à sa cause, sous les yeux mêmes de Pompée, qui occupait la Grèce. L’Asie et la Syrie, entraînées un instant dans le parti contraire, l’accueillirent bientôt comme un libérateur. C’est qu’il pouvait dire à la plupart de ces nations ce qu’il dit un jour aux Espagnols. « Je vous ai rendu tous les services que j’ai pu ; mon patronage ne vous a jamais manqué ; je me suis fait votre avocat devant le sénat ; j’ai soulevé contre moi bien des haines en défendant vos intérêts publics et privés ; et vous me combattez[2] !… »

Sa conduite, dans tout le cours de cette guerre, fut habile autant qu’humaine ; il adopta envers les provinciaux et les rois alliés un système de ménagemens et de douceur qui ne se démentit que rarement, et qui contrastait avec l’insolence et les rigueurs gratuites dont le parti pompéien semblait au contraire se faire une règle et une gloire. Il tenait la main à ce que ses officiers réprimassent la licence du soldat ; lui-même se montrait impitoyable envers tout chef dont les excès eussent compromis sa cause : « Tu n’as pas fait moins de mal à moi qu’à la république, » disait-il à un de ses tribuns qui, sous le prétexte d’enlever des blés, avait pillé la côte de Sicile ; et il le cassa ignominieusement, en présence des légions rassemblées. Cette modération lui gagnait les cœurs. La plupart du temps, les

  1. Cicer., ad Att., VIII, 15 ; IX, 7, 12, 13. — Tacit., Ann., XII, 60.
  2. Caes., Bell. hisp., 42.