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DE LA POLITIQUE ROMAINE.

dépendance précaire des villes de la Grèce. Mais un acte hardi, qui suivit de près ceux-ci, causa une émotion bien autrement vive. Un plébiscite, provoqué par César, vint conférer à la portion de la province cisalpine située à droite du Pô, à la Gaule cispadane, le droit de cité romaine, et la réunit à l’Italie[1], tandis que des concessions du droit de latinité et l’établissement de plusieurs grandes colonies préparèrent la transpadane à recevoir bientôt la même faveur[2]. Cette mesure était grave sans doute ; elle sanctionnait la réunion d’un territoire barbare au sol de l’Italie, réputé sacré, à la terre antique de Saturne ; elle concédait à des masses entières d’étrangers la qualité de citoyen, octroyée à peine jusque alors à quelques provinciaux isolés ; elle confondait avec les races d’où sortait le peuple romain, une de ces races condamnées à l’asservissement[3], et sur lesquelles il invoquait un droit d’autorité éternelle ; elle brisait enfin la borne posée par la religion même entre l’Italie et le reste du monde. L’aristocratie en fut irritée à ce point que le consul Marcellus, plusieurs années après, fit battre de verges, sous ses yeux, comme n’étant pas vraiment romain, le magistrat d’un des municipes transpadans créés en vertu de cette loi : « Les coups sont la marque de l’étranger, lui dit-il avec une ironie cruelle : va montrer tes cicatrices à César[4] ! »

Mais César, dont cette colère et ces barbaries impolitiques augmentaient l’importance, n’en travaillait que plus opiniâtrement à étendre ses relations hors de l’Italie. Il se faisait l’écho de tous les griefs, le centre de toutes les réclamations publiques ou privées, venues des provinces. Au plus fort d’une guerre fatigante et souvent dangereuse, du fond des bois et des marais de la Gaule, il entretenait, avec tous les points de l’empire, une correspondance où sa sollicitude inépuisable semblait embrasser jusqu’aux plus minces intérêts. Ici, il faisait réparer à ses frais des édifices endommagés ; là, il en faisait construire de neufs ; il reversait en largesses corruptrices sur le monde les trésors dont il dépouillait la Gaule. « Il embellit ainsi par de grands ouvrages, dit un de ses biographes, les villes principales de l’Italie, de la Cisalpine, de l’Espagne, de l’Asie et de la Grèce[5] ; » affectant de mettre, en toute circon-

  1. Tacit., Ann., XI, 24. — Strab., VI.
  2. Dion., XLI, 36.
  3. Tu regere imperio populos, Romane, memento
  4. Appian., Bell. civ., II, 26. — Suet., J. Cœs., 28. — Plut., J. Cœs., 37.
  5. Suet., loc. cit.