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dans des domiciles autres que Rome ou le territoire de Rome ; à fractionner même ce droit de citoyen d’après certaines règles que déterminaient les circonstances de la concession. Ainsi, les habitans de Céré (et tel avait été probablement leur désir, dans le but de conserver leurs lois particulières) ne reçurent que la communication du droit civil romain, sans la participation aux actes du gouvernement de Rome, sans la capacité politique ; ils n’eurent ni le droit de suffrage, ni celui d’éligibilité[1]. D’autres peuples plus favorisés obtinrent tous les droits dérivant du titre de citoyen. La cité compta dès-lors, à côté de ses fils domiciliés, des fils non domiciliés qui, sur le forum, dans les légions, au sénat, furent en tout point les égaux des premiers.

Sans doute on avait vu les gouvernemens grecs accorder quelquefois, sous les noms d’isopolitie et d’isotélie, des priviléges de la même nature que ceux-ci, quoique plus étroits et non liés ensemble par un enchaînement systématique ; mais ces concessions étaient rares, ordinairement individuelles, décernées à titre d’honneur pour des services d’exception, et non point destinées, comme à Rome, à grandir la chose romaine,[2]. Graduer ces concessions, les coordonner en système, les répandre autour de soi de la manière la plus large et la plus libérale, en faire la base d’une association de peuples, en les appliquant à son propre accroissement ; ce fut une grande idée que Rome jeta dans le monde, et plus tard les nations de la terre durent saluer de leurs bénédictions, à travers les siècles, le jour où le droit de cité avait été conféré aux Cérites.

Alors, pour la première fois dans l’histoire, la cité, dégagée des conditions matérielles de lieu, de langage, d’habitudes, prit un caractère de spiritualité dont les sociétés anciennes n’offraient point d’exemple. Il se créa, en dehors de la fraternité de sang ou de cohabitation, une fraternité d’idées et de sentimens qui eut, ainsi que l’autre, sa conscience, ses devoirs, son héroïsme. On devint citoyen de la même loi, et le patriotisme consista dans une coopération mutuelle aux mêmes destinées sociales. On ne saurait nier que la constitution intérieure de la ville, déjà travaillée avec tant de force par les progrès de l’esprit plébéien, n’en fût réellement ébranlée, qu’il

  1. De là l’expression in tabulas Cœritum referre, pour désigner l’acte des censeurs qui privait un citoyen du droit de suffrage. A. Gell, l. c.Ascon. Paedian., in Civ. Divin.Cærite cera digniHorat., Ep., I, 6.
  2. Ad augendam rem romanan. Tit-Liv., VIII, 13.