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DE LA POLITIQUE ROMAINE.

temens plus doux et des droits plus étendus, ou protégeant, contre l’avarice et la dureté des magistrats, les nations soumises par ses armes. Toutes les fois que, dans les luttes intérieures de la république, l’esprit plébéien devient prédominant, la condition des étrangers s’améliore aussitôt. C’est un fait remarquable que, depuis Sp. Cassius, auteur de la première loi agraire[1], jusqu’aux Gracques, et depuis les Gracques jusqu’à César, les défenseurs des intérêts plébéiens furent également ceux des intérêts italiens. L’instinct populaire qui animait ces grands tribuns leur révélait le but réel où Rome devait tendre ; on eût dit qu’ils travaillaient à en faire d’abord la ville de l’Italie, pour qu’elle fût plus tard la ville du monde[2].

Pourtant, l’esprit d’exclusion et d’usurpation aristocratique, le désir de fortifier le privilége du dedans par celui du dehors, de rendre le peuple romain tyran pour le mieux asservir, ce calcul du patriciat ne fut pas la raison unique du ralentissement qu’éprouvèrent avec le temps les agrégations de citoyens ; d’autres causes y contribuèrent aussi pour une forte part. Ainsi, à mesure que les mœurs se policèrent, ces transfusions volontaires ou forcées, qui portaient en soi un caractère incontestable de barbarie, devinrent de moins en moins praticables. Il fallut songer à un mode d’agrandissement moins sauvage et moins violent. Rome ne devait point s’arrêter dans cette carrière de développemens indéfinis, à laquelle la nature même de sa constitution sociale semblait l’avoir prédestinée. Quand un premier moyen vint à lui manquer, la nécessité lui en suggéra un second, et ce second fut bien autrement puissant entre les mains du parti populaire, bien autrement fécond en conséquences sociales.

Soit qu’on attribue, comme le veut Denys d’Halicarnasse[3], au turbulent consul Cassius, en 261, le premier essai du nouveau système d’agrégation ; soit que Rome, suivant l’opinion la plus commune et la plus vraisemblable, n’en ait fait usage qu’en 365, pour récompenser les Cérites de l’hospitalité qu’ils avaient donnée si généreusement à ses prêtres et à ses dieux, pendant l’invasion gauloise[4] ; ce système consista, non plus à importer les étrangers dans la cité, mais à transporter la cité au dehors ; à créer des citoyens romains

  1. An de Rome 268.
  2. Roma sola urbs, cætera oppida. Isid., VIII, 6. — Sidon. Apoll., Epist., I, 6.
  3. Antiq., VIII, 69, 74, 77. — Beaufort réfute cette assertion de Denys., Rep. rom., V, 84, 127 et seqq.Cf. Spanh., Ex., I, 7.
  4. A. Gell., Noct. att., XVI, 13. — Strab., V, 222. — Tit-Liv., V, 50. — Spanh., Orb. rom. Exerc., I, 7.