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l’association romaine, qui marchait jusqu’alors si rapidement et si largement. Tandis que les rois avaient travaillé, à l’envi l’un de l’autre, à multiplier le nombre des citoyens, la république aristocratique sembla tendre tout d’abord à le restreindre. C’était son intérêt sans doute, dans une vue de domination sur le peuple, dans la vue de réduire, par exemple, le plébéien romain à la condition du client étrusque. Pour cela, il fallait arrêter l’agrandissement indéfini de l’état, maintenir la ville dans des limites médiocres, principe observé par toutes les oligarchies anciennes ; il fallait surtout prévenir les perturbations, toujours vives, qu’apportait dans le balancement des forces politiques l’introduction soudaine d’une foule de nouveaux citoyens.

On vit donc, dès les premiers jours du gouvernement consulaire, les adjonctions collectives de citoyens cesser tout à coup et ne se reproduire plus qu’à de longs intervalles, dans des circonstances rares et en quelque sorte exceptionnelles. Le témoignage des faits historiques est confirmé en cela par les chiffres mêmes des dénombremens. Ainsi le cens qui avait suivi l’expulsion des rois, celui de Valérius Publicola, en 246, avait donné cent trente mille citoyens en âge de puberté, non compris les pères sans enfans, les pupilles, tous ceux enfin qui, suivant l’institution de Servius, ne devaient point figurer au rôle censorial ; le rôle de l’année 278 ne présenta plus qu’un chiffre de cent dix mille citoyens, que le recensement de l’année 288 réduisit à cent quatre mille deux cent quatorze, et qui ne remonta en 295 qu’à un peu plus de cent dix-sept mille ; et pourtant Rome, pendant ces cinquante années, fut livrée à des guerres continuelles avec ses voisins. Évidemment, le système politique avait changé ; ce que cherchait le gouvernement consulaire, ce n’était plus l’accroissement de la cité, mais sa domination au dehors. Les guerres même prirent un caractère plus marqué d’injustice et d’acharnement. Tout paraissait avoir été habilement calculé pour détourner le peuple romain des voies de sa véritable grandeur, pour élever autour de lui une sanglante, une infranchissable barrière de ressentimens et d’inimitiés.

Mais le bon sens plébéien aperçut le piége et sut en partie l’éviter. Malgré les haines que durent provoquer à la longue, de part et d’autre, ces guerres sans fin, la masse du peuple romain ne renia jamais sa vieille sympathie pour l’étranger vaincu ou devenu ami. L’histoire nous la montre réclamant sans cesse, en faveur de ses alliés, des trai-