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DE LA POLITIQUE ROMAINE.

pour ainsi dire, ses alliés albains ; elle se les approprie ; elle s’accroît des ruines d’Albe, comme dit énergiquement Tite-Live[1]. Elle s’approprie jusqu’à ses ennemis victorieux ; elle invite les Sabins, déjà maîtres par surprise d’une moitié de son enceinte, à n’en point sortir, à y fixer leurs pénates, à y vivre fraternellement avec les vaincus. La formule consacrée à ces transfusions témoigne assez de la parfaite égalité qui les sanctionnait. « Que ceci soit bon, favorable et heureux au peuple romain, à moi et à vous, Albains ! disait Tullus Hostilius au peuple d’Albe ; j’ai dessein de transférer le peuple albain à Rome, de donner à la multitude le droit de cité, aux nobles une place dans le sénat, afin qu’il n’existe plus entre nous qu’une même ville et qu’une même république[2]. » Cette formule fut répétée si souvent durant les deux premiers siècles de Rome, elle s’appliqua à tant de peuplades latines, étrusques, sabelliennes, qu’un recensement fait dans la ville et sur son territoire, deux cent quarante-six ans après sa fondation, fournit le chiffre énorme de cent trente mille citoyens[3], au-dessus de l’âge de seize ans. Le dénombrement fait par Servius Tullius, cinquante-six ans auparavant, n’en avait présenté que quatre-vingt-quatre mille[4].

Pendant que Rome allait ainsi se développant par voie d’agrégation, que se passait-il dans ses murailles ? Cette population, incessamment croissante, subissait la loi qui pèse sur toute société : ses membres se divisaient en classes ; il se créait au milieu d’elle une aristocratie qui devint par l’hérédité le premier pouvoir politique. Le gouvernement s’y modela d’abord sur celui de la plupart des états voisins : il fut monarchique, avec un sénat et une assemblée du peuple dont l’action était reconnue nécessaire dans certains cas. La royauté, investie d’une autorité modératrice, maintint quelque temps l’équilibre entre le peuple et la noblesse ; mais, affaiblie par les attaques du patriciat qui grandissait chaque jour en puissance, et enfin devenue odieuse à tous par les crimes des derniers Tarquins, elle tomba, laissant le gouvernement tout entier entre les mains des patriciens.

La révolution consulaire ne fut point favorable aux progrès de

  1. Tit.-Liv., I, 30.
  2. Tit.-Liv., I, 28.
  3. Denys., Ant., V, 20. — Plut., Public., 13.
  4. Tit.-Liv., I, 44. — Denys d’Halicarnasse, Ant., IV, 22, en compte 85,000 d’après les tables des censeurs ; et Eutrope (I, 71), 83,000.