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tesses me touchent, et je ne puis nier au scepticisme politique qu’à un certain degré ses questions ne subsistent. Je ne puis nier qu’il n’y ait quelque raison dans ces doutes inquiets que fait naître, et l’aspect des États-Unis, et l’aspect de la France elle-même.

Discuter ces questions dans leur entier, excèderait mes forces. C’est le sujet d’un livre, et ce sera le sujet d’un beau livre, car c’est de cela que traitera M. de Tocqueville dans la continuation du sien. Mais j’en ai trop dit pour n’en pas dire davantage, et d’ailleurs assez de gens fuient les questions difficiles et craignent d’avoir un avis.

Les grands évènemens font les grands hommes, ou du moins les manifestent. La guerre seule n’y suffit pas. La bataille de Naseby et celle de Worcester seraient peu de chose pour Cromwell, s’il n’eût gouverné l’Angleterre ; si Frédéric II n’eût fait que combattre, il ne serait peut-être, dans l’histoire, que l’égal du prince Henri. Nous avons parlé de Washington ; nous ne parlons pas de Napoléon. Lorsque le monde politique est calme, il faut donc s’attendre à moins de gloire. Ce serait porter dans les affaires réelles une curiosité romanesque, que de vouloir, en quelque sorte, des grands hommes à tout propos. On n’a pas chaque jour un état à fonder, un gouvernement à créer, une révolution à commencer ou à finir, ou même à détourner au profit d’une idée ou d’une passion. Bien gouverner, voilà ce qu’il faut en tout temps, œuvre en tout temps imposante et difficile, et qui, si elle ne réclame pas toujours toutes les qualités qui font, dans le langage historique, le grand homme, exige toujours l’effort des esprits et des caractères supérieurs. Écartons-le donc, ce mot vague de grand homme. Ne demandons pas à la société de produire incessamment quelque météore qui l’éblouisse. Ne la forçons pas à s’asservir constamment aux caprices d’une ambition de génie. Le peuple a autre chose à faire qu’à pousser des acclamations sur la voie triomphale ; et s’il était vrai que la raison moderne, qu’une intelligence plus sérieuse de l’ordre social eût pour effet de régulariser l’action de ces sublimes égoïstes qui abusent avec éclat de l’humanité, s’ils étaient désormais forcés de se subordonner à ses intérêts, où serait le mal ? où serait la déchéance ? N’est-il pas bon que tous soient soumis à la loi commune du dévouement ? On peut douter qu’il en soit déjà tout-à-fait ainsi ; mais les sociétés marchent évidemment vers ce but. Est-ce un signe de leur décadence que de se montrer plus exigeantes dans leurs admirations, que d’élever encore, que d’épurer le type idéal de l’homme politique, que