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Au retour, un cicerone, qui m’avait épié, s’était attaché à moi ; il voulait me faire de vive force les honneurs de la ville, et signala à mon admiration deux palais bâtis sur le seul petit bout de quai qui existe encore. Ces palais du moderne Amalfi seraient partout ailleurs des maisons fort ordinaires. L’un a été construit tout récemment et n’est pas encore meublé ; l’autre, flanqué à chaque angle de tourelles peintes, couvert en faïence peinte, et sur les murailles duquel on a barbouillé un ciel, des orangers et des oiseaux, sert d’auberge aux gens du port. Derrière ces maisons, et près de l’embouchure du Cannetto, j’aperçus enfin quelques voûtes antiques : c’est là, avec quelques substructions portant aujourd’hui des papeteries et des moulins à eau, tout ce qui reste des premiers temps d’Amalfi.

La cathédrale, que l’on m’avait beau coup vantée, est loin de mériter sa réputation. C’est un édifice bizarre qui n’a pas même le mérite de l’antiquité, ayant été réparé et restauré nombre de fois depuis sa fondation, et en dernier lieu au commencement du XVIIIe siècle, lorsque l’archevêque d’Amalfi, Michel Bologna, le fit reconstruire presque entièrement. Il faut excepter la façade et les portes de bronze, qui sont vraiment curieuses, ayant seules échappé à la transformation de l’édifice. On arrive à cette façade par un grand escalier, qui règne sur toute la largeur de l’édifice, et qui atteint presque à la moitié de sa hauteur. L’église est placée sur une plateforme élevée, à laquelle cet escalier conduit, comme un temple grec sur son stylobate. La façade est dans le goût moresque ; elle se compose d’un vestibule couvert, soutenu par un grand nombre de colonnes de marbre de divers caractères, et dont les chapiteaux sont tous différens ; quelques-unes de ces colonnes sont antiques. Des ogives entrelacées, comme les ogives du cloître des capucins, reposent sur ces chapiteaux. Les nervures de ces ogives sont peintes en brun et se détachent comme une dentelle noire sur la muraille blanche. Quatre portes ouvrent sur le vestibule placé derrière cette colonnade, et conduisent à autant de nefs dont les voûtes reposent sur des piliers de marbre. Les battans de la porte principale sont en bronze ; ils ont été travaillés en Grèce, et portent la date du Xe siècle, l’inscription suivante nous apprend que Pantaleone de la famille de Mauro de Maurone, consul de la république, a fait faire cet ouvrage pour le salut de son ame.

Hoc opus fieri jussit pro redemptione anima suæ Pantaleo
Filii Mauri de Pantaleone de Mauro de Maurone comite
[1].

Ces portes, d’un travail estimé, ont servi de modèle à celles de l’église du mont Cassin, comme nous l’apprend la chronique d’Aimon : « Didier, nous dit-il, étant venu à Amalfi, en 1062, pour acheter les étoffes de soie dont il

  1. Un peu au-dessus de cette inscription, on lit ces lignes rimées

    Hoc opus Andreæ memori consistit
    Effectus Pantaleonis bis honore auctoris studiis
    Ut pro gestis succedat gratia culpis
    .