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LA RÉPUBLIQUE D’AMALFI.

chose de pastoral qui les distingue du reste des rudes et avides populations de la côte. Treize hameaux ou casali[1] sont répandus dans la vallée et sur les flancs des collines de Tramonti.

L’antique tour de Chiunzo défendait, du côté du nord, le pays de Tramonti, que protégeait, du côté du sud, le château de Majori. On aperçoit ce château de fort loin en mer ; l’aspect en est singulier. Ses murailles à seize pans, flanquées de tours crénelées à chaque angle, enveloppent toute la colline ; ces murailles et treize de ces tours sont parfaitement conservées ; on dirait les remparts d’une ville restés seuls debout quand la ville aurait disparu. Ce château contient de vastes appartemens, une chapelle, des arsenaux, des prisons et des écuries pour toute une petite armée. Il fut construit par Raimond Orsino, prince de Salerne, en 1457 ; Raimond Orsino était grand feudataire du duché d’Amalfi. C’est l’une des plus belles et des plus complètes constructions de ce genre, et l’on a peine à s’expliquer le but de semblables ouvrages dans des lieux déjà inaccessibles.

En 1260, Manfred fit don à Jean de Procida du pays de Tramonti, lui accordant le titre de marquis de Tramonti. Le dévouement à la maison de Souabe dont Procida fit preuve dans la suite, lors de la conspiration des vêpres siciliennes, n’était donc pas tout-à-fait gratuit.

Quand on vient de passer les horribles rochers des caps de l’Ours et du Tombeau, l’aspect de Majori et de ses environs est vraiment ravissant. Ses maisons, de construction élégante, qui se composent de voûtes superposées et entretenues avec une propreté tout-à-fait anglaise, sont perdues au milieu de forêts de vignes, de mûriers, d’orangers, de citronniers, de cédrats et de grenadiers, et d’une foule d’arbres toujours verts et chargés de fruits en tout temps. On dirait une de ces villes créées par l’imagination des poètes ; dont chaque maison est entourée d’un jardin enchanté.

Rimira in verdi rami’i pomi d’auro ;
E conte spieghi nell’ ombrosa riva
Natura ogni sua pompa, ogni tesauro
[2].

Majori a sur toutes les autres villes et bourgades de la côte l’avantage d’être construit en grande partie dans la plaine, de sorte que ses rues sont plus spacieuses que celles d’Amalfi, d’Atrani ou même de Salerne. La plupart des jardins de la ville donnent sur la rue principale ; une jolie rivière sert de ruisseau à cette belle rue. On traverse ce ruisseau sur plusieurs ponts tout blancs qui lui donnent l’air d’un canal de Venise. Le bruit, le mouvement des eaux courantes, les exhalaisons balsamiques des jardins, les branches dorées des

  1. Polvica, S.-Elia, Paterno, Figlino, Corsano, Cesarano, Lepietre, Capitignano, Campinola, Ponte, Geta, Novella e Pocara. La population de ces bourgades réunies s’élève à environ huit mille habitans.
  2. T. Tasso, cant. 1, 51, 62.