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vérités sociales, tout en fécondant les affirmations de son génie, il lui est interdit, sous peine de manquer à sa propre loi, d’employer la violence et le despotisme pour assurer le triomphe de ce qu’elle a conçu.

Et cependant il y eut un débordement de passions furieuses et d’idées fausses, qui, rompant toute digue, donnèrent un démenti funeste à toutes les vérités et à toutes les espérances. L’esprit s’égara et le cœur s’avilit, comme si la profondeur de la chute devait expier la sublimité de l’essor. Il arriva qu’un mouvement philosophique et social, qui s’était fait au nom de tous et dans l’intérêt de tous, devint entre les mains de quelques-uns un monopole sanglant ; on poussa le peuple à proscrire la bourgeoisie, et les dernières classes s’insurgèrent contre ceux qui leur avaient frayé la route de la liberté. Le jacobinisme est à coup sûr une des plus étranges aberrations de l’esprit humain : non-seulement il est hideux par le sang qu’il a versé, mais il est radicalement faux dans les principes qui l’ont l’ait mouvoir.

En cherchant à mettre la bourgeoisie en dehors du peuple, les jacobins dénaturaient les bases même de la révolution française ; car ils niaient la généralité de son génie, comme ils nièrent le principe de l’intelligence en plaçant la souveraineté dans le nombre et dans l’agglomération des masses. D’un côté, ils proscrivaient une partie du peuple ; de l’autre, au lieu d’élever la multitude, ils la corrompaient en lui donnant à croire que la force était le droit.

Deux conséquences découlèrent immédiatement de cette déification de la multitude : l’extermination en masse des ennemis de la république, et la dictature. Par ces deux mesures transitoires, on se proposait d’arriver à un état social entièrement nouveau, reconnaissant pour principe et pour maître le peuple souverain, qui devait se composer de l’universalité des citoyens. Les jacobins avaient un sentiment profond et sauvage de l’unité sociale, qu’ils exagérèrent jusqu’à la folie. Le peuple était pour eux comme le César de la Rome impériale, ils lui apportaient tout à dévorer, et ils fondaient sa puissance sur le mépris des droits de chacun. Au moment où était décrété comme un devoir sacré le bonheur commun, les passions les plus violentes étaient déchaînées, l’envie prenait toutes les formes, fermentait dans les ames, se dressait contre les plus nobles têtes, et s’appelait patriotisme. Voilà la plaie de toute démocratie, voilà le vice qu’elle doit s’arracher du cœur, pour être digne de ses destinées. Le jacobinisme l’exalta outre mesure, et trouva des crimes dans toutes les supériorités. Avec l’envie marchait la haine du passé et de