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MORALISTES DE LA FRANCE.

pensée propre et elle seule, tout ce qui n’est pas moi : fou, c’est le synonyme intime de toi.

VIII. En avançant dans la vie, il en est déjà des pensées de la plupart des hommes comme il en sera bientôt de leurs corps, qui tous iront en poussière aux mêmes élémens. Quelle que soit la diversité des points de départ, les esprits capables de mûrir arrivent, plus qu’on ne croit, aux mêmes résultats ; mais les rôles sont pris, les apparences demeurent, et le secret est bien gardé.

IX. Le moment est dur où l’on s’aperçoit clairement qu’on n’a pas fait son chemin dans le monde à cause d’une qualité ou d’une vertu. Mais prenez garde : l’irritation qui en résulte, si elle se prolonge, vaut à elle seule ce mal qui révolte, et l’opère en vous.

X. Par un sens profond, le mot innocence, qui littéralement veut dire qu’on ne fait pas le mal, signifie qu’on ne le sait pas. Savoir le mal, si l’on n’y veille aussitôt, c’est le faire.

XI. Il y en a qui, pour avoir trop fait, chaque matin et chaque soir, le tour extérieur du Palais-Royal dans les infections et les boues, ne savent plus jouir d’une heure de soleil dans la belle allée.

XII. Combien de gens meurent avant d’avoir fait le tour d’eux mêmes !

XIII. Il faut un peu d’illusion au train de la vie : quand on en sait trop le fin mot, la nature vous retire, parce que rien qu’à le regarder d’un certain air, on empêcherait le drame d’aller.

XIV. Si l’on se mettait à se dire tout haut les vérités, la société ne tiendrait pas un instant ; elle croulerait de fond en comble avec un épouvantable fracas, comme ces galeries souterraines des mines ou ces passages périlleux des montagnes, dans lesquels il ne faut pas, dit-on, élever la voix.

XV. Jeunes, nous aimons, nous admirons à chaque pas ; nous croyons aimer les autres : c’est notre jeunesse que nous aimons en eux.

— Mais quelques-uns, après la jeunesse, continuent d’admirer et d’aimer. — Heureuses natures ! c’est leur jeunesse d’ame prolongée, c’est leur belle humeur heureuse et leur vive source de joie naturelle qu’ils continuent d’aimer autour d’eux.

XVI. Les lieux les plus vantés de la terre sont tristes et désenchantés lorsqu’on n’y porte plus ses espérances.