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MORALISTES DE LA FRANCE.

de Longueville, qui fut des victimes, né durant la première guerre de Paris, lui était plus cher que tout. Il avait fait son entrée dans le monde, vers 1666, à peu près l’année des Maximes ; le livre chagriné et la jeune espérance, ces deux enfans de la Fronde ! Dans la lettre si connue où elle raconte l’effet de cette mort sur Mme de Longueville, Mme de Sévigné ajoute aussitôt : « Il y a un homme dans le monde qui n’est guère moins touché ; j’ai dans la tête que, s’ils s’étaient rencontrés tous deux dans ces premiers momens, et qu’il n’y eût eu personne avec eux, tous les autres sentimens auraient fait place à des cris et à des larmes que l’on aurait redoublés de bon cœur : c’est une vision. »

Jamais mort, au dire de tous les contemporains, n’a peut-être tant fait verser de larmes et de belles larmes que celle-là. Dans sa chambre de l’hôtel Liancourt, à un dessus de porte, M. de La Rochefoucauld avait un portrait du jeune prince. Un jour, peu de temps après la fatale nouvelle, la belle duchesse de Brissac, qui venait en visite, entrant par la porte opposée à celle du portrait, recula tout d’un coup, puis, après être demeurée un moment comme immobile, elle fit une petite révérence à la compagnie, et sortit sans dire une parole. La seule vue inopinée du portrait avait réveillé toutes ses douleurs, et, n’étant plus maîtresse d’elle-même, elle n’avait pu que se retirer[1].

Dans ses soins et ses conseils autour des gracieuses ardeurs de la princesse de Clèves et de M. de Nemours, M. de La Rochefoucauld songeait sans doute à cette fleur de jeunesse moissonnée, et il retrouvait à son tour à travers une larme quelque chose du portrait non imaginaire. Et même sans cela, le front du moraliste vieilli, qu’on voit se pencher avec amour sur ces êtres romanesques si charmans, est plus fait pour toucher que pour surprendre. Lorsqu’au fond l’esprit est droit et le cœur bon, après bien des efforts dans le goût, on revient au simple ; après bien des écarts dans la morale, on revient au virginal amour, au moins pour le contempler.

C’est à Mme de Sévigné encore qu’il faut demander le récit de sa dernière maladie et de ses suprêmes momens ; ses douleurs, l’affliction de tous, sa constance : il regarda fixement la mort. Il mourut le 17 mars 1680, avant ses soixante-sept ans accomplis. C’est Bossuet qui l’assista aux derniers momens, et M. de Beausset en a tiré quelque induction religieuse bien naturelle en pareil cas. M. Vinet semble

  1. Voir tout le récit dans les Mémoires de l’abbé Arnauld, à l’année 1672.