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l’autre. Les grandes luttes de Shongui et de Pomare datent de ce temps. Quand Shongui se rend à Londres avec un ministre de paix, c’est pour y mieux préparer la guerre. Les personnages importans du pays périssent tous par les armes. Shongui meurt des suites d’une blessure ; Pomare est dévoré par son ennemi. Entre les peuplades du centre et celles de la baie des Îles, le combat s’éternise sans merci et sans trêve. Chaque renfort de mousquets est un encouragement à de nouvelles tentatives. Ceux qui n’ont pas cette ressource imaginent mille ruses pour en neutraliser l’effet. Un chef de l’ouest fait coucher ses gens à plat ventre au moment de la première décharge, l’esquive ainsi, et se précipite ensuite sur ses antagonistes, fort embarrassés d’armes qui ont épuisé leur effet. Aucune des anciennes coutumes guerrières n’a disparu ; la victoire a toujours son horrible lendemain. Le tabou règne plus impérieusement que jamais, et il vient frapper les missionnaires jusque dans leurs champs, leurs cultures, leurs maisons, leurs néophytes. Les nouveaux chrétiens respectent ce que la loi du pays tient pour sacré. Le code des représailles n’a point adouci ses rigueurs. Rien n’est changé, si ce n’est qu’on souffre sur les lieux des hommes qui y ont importé une civilisation matérielle. C’est une question de reconnaissance, d’égards, de bons procédés, voilà tout. Les indigènes n’ont jamais rendu le mal pour le bien.

Si la vie locale ne s’est que faiblement modifiée, il ne faut pas croire que les missionnaires aient assisté, sans tenter aucun effort, au spectacle de leur impuissance. Les voyages de M. Marsden, les laborieux travaux de ses collègues, sont des témoignages d’une activité louable, bien qu’infructueuse. Mais là où le zèle religieux a échoué, le mouvement commercial imprime déjà de profondes traces. La baie des Îles, rendez-vous des baleiniers, a reçu en 1836 cent cinquante-un navires, en 1837 cent quarante-neuf, en 1838 cent soixante-douze. C’est devenu une échelle importante où plus de six cents Européens forment une sorte de comptoir et un noyau de colonisation. Si l’esprit indigène doit être transformé, c’est par ce contact et non par l’influence religieuse. Les Zélandais sont surtout un peuple pratique ; l’habitude plutôt que la parole les domptera. Des rapports plus fréquens avec les Européens entraîneront des besoins et des penchans plus identiques, et déjà les naturels de la baie des Îles ont vaincu leur répugnance pour les liqueurs spiritueuses, que les autres tribus repoussent toujours avec dégoût. La population de ces îles gagnera-t-elle à cette métamorphose ? Ceci est un autre problème qui serait trop long à résoudre. Un peuple ne change pas ses mœurs,