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ne leur coûta pour s’en procurer, ni les sacrifices en nature ni les avances bienveillantes, ni même l’oubli complet des griefs passés. Le prestige guerrier de l’Europe captiva ces peuples militaires, sur lesquels l’ascendant religieux ne devait exercer qu’une faible et lente influence. Ils reconnurent tacitement le patronage de la Grande-Bretagne, non comme foyer de christianisme, mais comme atelier de carabines et de mousquets. L’autorité d’un chef se mesurant désormais au nombre de ses fusils, la suprématie devenait une question d’arsenal. Aussi s’établit-il dès-lors, à l’effet d’acquérir ce mode d’influence, un mouvement alternatif de tentatives particulières. D’une part, des guerriers indigènes se hasardaient à visiter l’Europe, dans l’espoir de lui dérober son foudroyant secret ; de l’autre, des matelots européens étaient enlevés par surprise et transportés au milieu des terres pour le service de quelques tribus. Ces aventures isolées forment, dans l’histoire de la Nouvelle-Zélande, une suite de chroniques dont nous détacherons un petit nombre d’épisodes.

III. — VOYAGES EN EUROPE DE QUELQUES ZÉLANDAIS.

Les premiers indigènes qui s’embarquèrent sur des navires européens soit avec Surville, soit avec Cook, périrent misérablement dans la traversée. Ceux qu’enleva le Dedalus furent plus heureux. Débarqués sur l’île de Norfolk, ils y trouvèrent un protecteur dans le gouverneur King, qui les ramena lui-même sur les côtes de la Nouvelle Zélande. Cet acte de loyauté laissa de profondes traces dans le pays, et, quelques années après, un chef du nom de Tépahi arriva, avec cinq de ses fils, dans la colonie de Sydney, où il rencontra l’accueil le plus bienveillant et le plus empressé. Il repartit pour son île, comblé de présens et abondamment pourvu d’instrumens utiles. Son exemple décida la vocation de son neveu Doua-Tara, que l’on peut regarder comme un martyr de la civilisation zélandaise.

Doua-Tara n’eut, dans sa courte vie, qu’une idée dominante, celle de naturaliser chez les siens les procédés agricoles de l’Europe. Pendant que les autres chefs dirigeaient toute leur activité vers la guerre, seul il aspirait à des conquêtes pacifiques et s’immolait à la réalisation de ce dessein. Dès l’âge de dix-huit ans, il servait comme matelot à bord de baleiniers qui, après l’avoir employé à des travaux pénibles et gratuits, le déposaient sur quelque côte déserte, nu, souffrant, exténué de fatigue. Jouet des caprices de la fortune, l’insulaire persistait toujours ; il voulait acquérir l’expérience des choses nouvelles, il espérait voir