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donner à l’autorité militaire, il se défiait de la sienne, et les assemblées coloniales qui suspectaient à la fois celle du congrès et celle de l’armée, usaient de leurs droits plutôt comme d’une liberté locale que comme d’un ressort de gouvernement. Une sorte d’esprit municipal, tel que le moyen-âge l’a développé, dominait dans les treize états, esprit de résistance plutôt que de direction, propre à protéger les droits privés plus qu’à sauver ceux de la société. Il tenait comme en échec le pouvoir central. Ces hommes intrépides, qui avaient osé disputer à une métropole redoutable l’autorité suprême, n’osaient la garder pour eux. Ils déclaraient la guerre et ils hésitaient à y contraindre leur pays ; ils reprenaient à l’Angleterre le droit de lever l’impôt, sans en user pour leur compte ; ils revendiquaient toutes les prérogatives d’un gouvernement et ne gouvernaient pas. Un excessif respect pour la liberté les exposait à ne la point conquérir.

Ces scrupules ou ces défiances mirent plus d’une fois en question le salut de l’Amérique, et la guerre eut plus d’un jour où l’on regretta la dictature. Mais finalement tout réussit, et le dénouement n’en valut que mieux. Tandis que d’ordinaire le danger public arme le pouvoir et ajourne la liberté, ce fut au moment de la victoire et de la paix que la nation aperçut la faiblesse, le néant de son gouvernement, et la nécessité de le fortifier ou plutôt de le refaire. L’union n’avait été qu’un mot d’ordre national ; le lien fédéral n’existait que de nom ; aucune institution puissante ne le consacrait. Ces États-Unis, qui avaient captivé l’admiration de l’univers, déclinaient en naissant. Ils n’avaient point d’armée, de finances, de diplomatie. La vie politique semblait prête à s’éteindre en eux au moment où ils étaient libres. Ils sentirent le mal, et quoi qu’il leur en coûtât, ils voulurent le réparer. Leurs opinions ni leurs habitudes ne les portaient vers une organisation centrale ; amis de l’union en théorie, ils en supportaient impatiemment les conséquences, et tout ce qu’ils accordaient à la force de la nationalité, leur semblait autant de pris sur la liberté locale et sur la liberté populaire ; mais leur bon sens fit taire leurs préjugés et leurs goûts. La constitution de 1787, cette constitution qui, de ce côté-ci de l’Océan, semble l’utopie écrite, le rêve légal de la démocratie, fut une œuvre de raison, un produit de l’expérience, un sacrifice à la nécessité. C’est une réaction de l’esprit de gouvernement qui a organisé la grande république américaine ; elle fut établie contre l’anarchie, et, en effet, à dater de 1789, les États-Unis ont pris leur rang dans le monde.

Le caractère qui nous a frappé dans le peuple américain, et dans