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laire des formes. En effet, cette famille se compose de sujets robustes et sveltes, avec un teint d’un jaune plein de vie, des yeux bien découpés, un angle facial qui rappelle celui des Européens, des cheveux noirs et lisses, des lignes pures et correctes, seulement trop labourées par le tatouage. Nulle part ce type n’est plus pur que dans la Nouvelle-Zélande, moins accessible que les autres îles à une invasion d’élémens étrangers. L’obésité, devenue commune à Hawaii et à Taïti, est jusqu’à ce jour demeurée inconnue dans le groupe zélandais, et les progrès de la civilisation n’y ont pas été suivis encore de symptômes d’énervement.

Partout où l’Europe passe, il faut qu’elle laisse son empreinte, soit politique, soit religieuse. La Polynésie lui appartient désormais. À Hawaii, à Taïti, l’esprit indigène n’a pas même songé à la résistance ; il s’est livré sans conditions, il s’est résigné au sort du vaincu. Le vêtement national a fait place à un costume sans nom qui a cessé d’être sauvage sans devenir pour cela européen. Toute originalité s’est effacée devant des imitations grotesques, et la race elle-même semble dépérir sous les atteintes de cette contagion que le commerce promène autour du globe avec ses infatigables vaisseaux. La Nouvelle-Zélande n’a pas désarmé aussi promptement : elle a protesté à diverses reprises par des révoltes soudaines et des colères imprévues. Ses mœurs militaires se sont refusées à une assimilation immédiate. L’archipel a tenu tête à l’ascendant européen avant de le subir, et, tout en cédant, il s’est mieux défendu. Aujourd’hui même qu’il se soumet en obéissant à l’admiration plutôt qu’à la crainte, ni ses mœurs guerrières, ni ses allures indépendantes ne semblent être entamées par le contact civilisateur. Le tabou y est toujours impérieux, la loi du talion toujours implacable. Ce que la Nouvelle-Zélande demande surtout à l’Europe, ce sont des mousquets, c’est-à-dire les plus énergiques agens de destruction, les derniers raffinemens de la force brutale. On peut juger, par ce fait, de ses tendances.

En matière d’influence religieuse, le contraste a été le même. Hawaii et Taïti sont, à l’heure qu’il est, deux petits royaumes gouvernés par des missionnaires américains ou anglicans. Rien ne s’y dérobe à leur juridiction, pas plus le temporel que le spirituel. Quand les populations ne sont pas au prêche, elles travaillent pour leurs évangélistes ; elles ne quittent la Bible que pour aller féconder de leurs sueurs les champs de la mission. Peu s’en faut que, sur ces deux points, ces apôtres n’aient réuni dans leurs mains un double monopole, celui des cultures et celui du commerce. Tout se fait par eux et