Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/142

Cette page a été validée par deux contributeurs.
138
REVUE DES DEUX MONDES.

zeraineté, et que dès-lors, tout en diminuant la puissance du sultan, on ne porte cependant aucune atteinte à l’intégrité de l’empire. Mais à coup sûr on n’ajoutera pas qu’on a entendu parler de l’intégrité de l’empire ottoman tel qu’il existe aujourd’hui, l’Égypte, la Syrie et l’île de Candie se trouvant déjà séparées de fait et en possession du pacha. Le ministère n’a certes pas imaginé, on ne saurait trop dans quel but, un détour si peu digne, et qui rappellerait ces bons pères que fustigeait si cruellement l’auteur des Provinciales.

Quoiqu’il en soit, le mot d’intégrité est exorbitant. Pris au pied de la lettre, il jetterait la France dans une politique toute nouvelle, à la suite de l’Angleterre, et nous obligerait, pour être d’accord avec nous-mêmes, et pour conserver en tout cas à la France son rang et sa dignité, de coopérer aux mesures coërcitives que le cabinet anglais paraît si désireux d’employer contre Méhémet-Ali. Expliqué, commenté, ce mot jette notre gouvernement dans de graves embarras politiques et diplomatiques, et il est difficile de concevoir quelle utilité indirecte peut en résulter pour la France. On dit que les affaires d’Orient sont dans ce moment l’objet d’une conférence au petit-pied qui se tient à Londres, et dont M. Brunow pour la Russie, et M. Neumann pour l’Autriche font les frais. Fallait-il au négociateur français le mot d’intégrité pour s’y déployer à son aise ?

Malgré cette pointe si inattendue dans le domaine de la politique extérieure, le discours de la couronne avait laissé les esprits froids, mornes, découragés. Le passage où le roi parlait du zèle ardent du prince royal et de ses frères pour le service de la patrie et l’honneur de la France, jeta seul une étincelle électrique au sein de l’assemblée. La France sentit qu’on lui parlait de ses enfans, et fut émue de leur amour et de leur dévouement.

L’élection de M. Sauzet à la présidence, ainsi que nous l’avions annoncé, n’a pas rencontré d’obstacles sérieux. La chambre était encore hors d’état, je ne dis pas de faire, mais de désirer, mais d’imaginer une élection plus significative. M. Sauzet, bon président d’ailleurs, convenait à la chambre, autant par les qualités dont il manque que par celles dont il est doué. Il lui épargnait la peine de se réveiller brusquement, et pour ainsi dire en sursaut, de cette espèce d’étourdissement léthargique où l’avait jeté la dernière session.

Cependant le frottement des hommes politiques avait recommencé. Après s’être regardés, toisés, en rechignant, en bâillant, on s’était avoué qu’on sommeillait plus qu’il ne convient à la dignité d’un grand corps politique et aux intérêts de la France ; mais bientôt on se le dit si souvent et si haut, qu’il fut évident pour tout le monde qu’on touchait au réveil. C’est ainsi que les choses se passent chez nous ; toute situation ne dure guère que le temps nécessaire pour la bien constater ; le jour où tout le monde la reconnaît et l’avoue hautement, ce jour-là elle disparaît. C’est comme une mode, elle tombe le jour où, devenue générale, elle n’est plus une distinction pour personne. Cette fois, le changement s’opère, nous l’espérons du moins, au profit et pour l’honneur de la France, qui certes n’avait rien à attendre de grand ni d’utile de l’abaissement et de la décomposition d’un des grands pouvoirs de l’état.