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ralité des peuples, celui de la vieillesse qui n’est pas respectable. L’habitude d’insulter les institutions devance alors le désir de les changer. Une société se déprave, quand elle méprise long temps ce qui lui commande ; elle se dégoûte de l’obéissance plutôt qu’elle n’aime la liberté ; elle perd le sens de l’autorité légitime, et tombe dans l’impiété politique. Rien de pareil chez les Américains du dernier siècle. Leur libéralisme sérieux et traditionnel ne ressemblait pas à cet esprit de réaction novatrice qui aime la révolte pour elle-même, et renverse en passant tout ce qu’il voit debout. Plus simplement fiers que les Sicambres de notre histoire, n’ayant jamais fléchi le genou devant les idoles, les Américains n’avaient point à brûler ce qu’ils n’avaient jamais adoré.

D’un tel peuple quelle devait être la révolution ?

Les passions humaines ne respectent rien. Lorsqu’une fois les évènemens les soulèvent, elles corrompent les meilleurs, égarent les plus sages ; elles emportent avec elles les mœurs mêmes à l’ombre desquelles elles ont pris naissance, et dévastent, comme un chaume qui s’enflamme, le champ qui les a portées.

Si l’oppression qui révolta les colonies eût été cette tyrannie violente qui provoque des ressentimens égaux à ses fureurs, ses excès eussent appelé des représailles ; pour s’affranchir, les Américains se seraient vengés ; ils étaient des hommes. Mais c’est ici qu’il faut admirer leur bonne fortune ! Certes, la résistance leur était permise ; ils la devaient aux principes sacrés et aux vérités inviolables dont ils se sentaient dépositaires. Néanmoins elle n’était pas une obligation absolue ; pour eux, point de revanche à prendre contre des rigueurs insupportables ; une passion impétueuse ne les poussait pas ; ils n’avaient point, comme par exemple le Brabant sous Philippe II, à renverser des bûchers et des échafauds. Le gouvernement britannique n’avait attenté qu’à un principe constitutionnel ; on ne pouvait dire qu’il eût persécuté les Américains, il ne leur avait guère que manqué de respect ; ils trouvèrent que c’était bien assez, et cela les honore ; mais enfin, ils purent délibérer avant d’agir, ils ne coururent pas aux armes précipitamment et du premier bond, ils prirent conseil de la prudence, continrent leur courroux, mesurèrent la résistance, graduèrent la révolte, et semblèrent s’attacher à légitimer à chaque pas la révolution. Ils l’accomplirent comme un devoir.

D’ailleurs, le gouvernement qu’ils attaquaient n’était pas là, sous leurs yeux, tour à tour insolent et faible, joignant aux prétentions irritantes les vexations de détail, les excès de répression. Il punit