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se dit homme du monde, ailleurs dans un article de journal, ailleurs au théâtre ; et il faut avoir la main heureuse pour rencontrer un principe de morale dans nos drames modernes ! Voilà comme se fait notre éducation morale, au hasard, tant bien que mal ! Mêlez à ces maximes, prises de droite et de gauche, les leçons de l’expérience, leçons qui ne sont souvent que le regret d’une faute irréparable, ou le dépit d’avoir été méchant sans succès : voilà le fond de la morale de notre temps. » Après un brillant développement, où sont intervenus bien des conseils utiles, bien des traits piquans pour la présomption des jeunes amours-propres, M. Saint-Marc Girardin a terminé sa lecon au milieu de marques répétées d’assentiment. Jamais il n’avait montré plus de verve facile et détachée, une parole plus vive et plus pénétrante. Le sujet élevé et difficile indiqué pour cette année (des Causes de la renaissance des lettres au XVe siècle) ne peut qu’intéresser de plus en plus un auditoire dont la juste faveur est depuis long-temps acquise à M. Saint-Marc Girardin.


M. Hugo, se portant décidément comme candidat pour le fauteuil vacant à l’Académie française, nous n’avons pas besoin de dire que tous nos vœux sont pour lui. L’Académie des Inscriptions vient de nommer aux deux places d’académicien libre, vacantes par la mort de MM. Michaud et Salverte, MM. Vitet et Eyriès. Ce sont deux honorables choix. Le nom de M. Libri, qui a réuni plusieurs suffrages, nous eût semblé également une adjonction fort désirable, et qui n’est qu’ajournée, nous l’espérons. On doit se féliciter particulièrement de voir l’Académie des Inscriptions ne pas reculer, depuis quelque temps, devant des noms jeunes encore et célèbres à divers titres ; l’admission au sein de l’Académie d’hommes tels que M. Vitet, qui unissent l’agrément et les lumières au savoir, est propre à renouveler l’esprit du docte corps avec à-propos et mesure.


Plusieurs de nos amis ont paru s’alarmer de quelques passages de l’Essai sur le Drame fantastique, qui atteignent le catholicisme. Cet éloquent manifeste, qui est devenu, on l’a dit, l’évènement littéraire de la quinzaine, soulevait bien assez de sources puissantes d’intérêt, de passion littéraire et philosophique ; la Revue eût pu désirer qu’il n’y eût en tout cela que Goethe de plus particulièrement blessé. On aime à rappeler à ce propos le très beau mot de Montesquieu (qui d’ailleurs ne l’a pas lui-même toujours observé) d’éviter, autant que possible, de blesser le genre humain à l’endroit le plus tendre. Nous rappellerons aussi pourtant à nos honorables amis qu’une expression plus mitigée n’eût rien changé au fond et n’eût été qu’un égard apparent pour une respectable, mais dominante idée, qui ne se contente pas d’égards. Et puis George Sand est de ces écrivains, ce semble, qu’on accepte et qu’on veut désormais dans leur entier, avec leur énergie d’éloquence dans tous les sens. Ses tendances sont connues ; son nom dit tout ; c’est comme un étendard qui mène avec lui toutes ses armes.



V. de Mars.