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Qui fut donc chargé de rédiger en livres ce qui était d’abord en inscriptions ? Quelle garantie de fidélité dans cette révision ? À quelle époque ? C’est ce qu’aucun texte n’a permis à M. Leclerc de conjecturer. J’ai dit qu’après lui, sur cette question, il fallait crier à la clôture. Mais voilà l’endroit faible de la place par où le doute pourrait encore faire brèche de nouveau.

M. Leclerc a exprimé une vue historique très séduisante et très ingénieuse ; c’est que, sous Vespasien, il y eut un renouvellement d’études, et, pour tout dire, une véritable rénovation des travaux historiques : « Cet empereur, renonçant le premier aux traditions patriciennes de la famille des Césars qui venait de finir dans Néron, lorsqu’il reconstruisit le Capitole incendié par les soldats de Vitellius ou par les siens, ne craignit point d’en faire comme un musée historique où se dévoileraient, aux yeux de tous, les mystères de l’antiquité romaine… Depuis Vespasien et son nouveau Capitole, on connaît mieux la vérité, et le patriciat déchu ne défend plus de la dire. » Ainsi on consulta plus librement alors les vieux titres, les inscriptions sur bronze, et selon M. Leclerc les Annales pontificales, qui durent être pour beaucoup dans cette rénovation. Enfin ce fut un peu comme aujourd’hui, où, grace à la passion des recherches historiques, on revient à mieux savoir le moyen-âge et l’époque mérovingienne que durant les trois derniers siècles.

Ceci est vrai en partie, en partie exagéré. Je soupçonne qu’il y a quelque illusion à penser qu’on sache jamais mieux les choses en s’en éloignant beaucoup. On en saisit mieux certaines masses et certains points isolés, et l’on croit d’autant mieux les tenir que le reste se dérobe davantage. Pour dire toute ma pensée, a-t-on raison de prétendre savoir mieux le moyen-âge aujourd’hui qu’avant la révolution ? Oui et non. Cette quantité de détails sur le clergé, les couvens, les parlemens, les charges de cour, qui formaient la trame sociale, et qui étaient un reste de la vie du moyen-âge, on ne les connaît plus. Tout le monde en était informé alors, on vivait au milieu. Les érudits en retrouvent aujourd’hui et en embrassent des parties ; mais personne n’a plus dans la tête cet ensemble d’organisation. On y gagne, quand on juge le moyen-âge, de le faire dans un esprit plus détaché de toutes les analogies contemporaines ; mais on y perd aussi quelque chose en notions continues. C’est une flatterie à l’homme de croire que du moins tous les résultats positifs restent, et que dans la science on n’oublie pas. À chaque génération, il se fait un naufrage d’idées vives ; une sorte d’ignorance recommence ; une bonne partie du savoir et de l’es-