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PAULINE.

avait vécu des siècles ! Aussi, tout ce qu’elle voyait la frappait comme un rêve.

La salle, vaste et basse, offrait à l’œil une profondeur terne qui n’était pas sans charme. Il y avait dans le vague de la perspective de l’austérité et de la méditation, comme dans ces tableaux de Rembrandt où l’on ne distingue, sur le clair-obscur, qu’une vieille figure de philosophe ou d’alchimiste brune et terreuse comme les murs, terne et maladive comme le rayon habilement ménagé où elle nage. Une fenêtre à carreaux étroits et montés en plomb, ornée de pots de basilic et de géranium, éclairait seule cette vaste pièce ; mais une suave figure se dessinait dans la lumière de l’embrasure, et semblait placée là comme à dessein pour ressortir seule et par sa propre beauté dans le tableau. C’était Pauline.

Elle était bien changée, et, comme la voyageuse ne pouvait voir son visage, elle douta long-temps que ce fût elle. Elle avait laissé Pauline plus petite de toute la tête, et maintenant Pauline était grande et d’une ténuité si excessive, qu’on eût dit qu’elle allait se briser en changeant d’attitude ; elle était vêtue de brun avec une petite collerette d’un blanc scrupuleux et d’une égalité de plis vraiment monastique. Ses beaux cheveux châtains étaient lissés sur ses tempes avec un soin affecté ; elle se livrait à un ouvrage classique, ennuyeux, odieux à toute organisation pensante ; elle faisait de très petits points réguliers avec une aiguille imperceptible, sur un morceau de baptiste dont elle comptait la trame fil par fil. La vie de la grande moitié des femmes se consume, en France, à cette solennelle occupation.

Quand la voyageuse eut fait quelques pas, elle distingua, dans la clarté de la fenêtre, les lignes brillantes du beau profil de Pauline : ses traits réguliers et calmes, ses grands yeux voilés et nonchalans, son front pur et uni plutôt découvert qu’élevé, sa bouche délicate qui semblait incapable de sourire. Elle était toujours admirablement belle et jolie, mais elle était maigre et d’une pâleur uniforme qu’on pouvait regarder comme passée à l’état chronique. Dans le premier instant, son ancienne amie fut tentée de la plaindre ; mais en admirant la sérénité profonde de ce front mélancolique doucement penché sur son ouvrage, elle se sentit pénétrée de respect bien plus que de pitié.

Elle resta donc immobile et muette à la regarder ; mais, comme si sa présence se fût révélée à Pauline par un mouvement instinctif du cœur, celle-ci se tourna tout à coup vers elle et la regarda fixement sans dire un mot et sans changer de visage.