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PAULINE.

inné qu’elles éprouvent de dramatiser leur propre existence à leurs propres yeux, la jeune femme sourit involontairement, comme si une voix intérieure lui eût répondu qu’elle était heureuse encore, et elle essaya de s’assoupir, en attendant que l’heure fût écoulée.

La cuisine de l’auberge n’était éclairée que par une lanterne de fer suspendue au plafond. Le squelette de ce luminaire dessinait une large étoile d’ombre tremblottante sur tout l’intérieur de la pièce, et rejetait sa pâle clarté vers les solives enfumées du plafond.

L’étrangère était donc entrée sans rien distinguer autour d’elle, et l’état de demi-sommeil où elle était, l’avait d’ailleurs empêchée de faire aucune remarque sur le lieu où elle se trouvait.

Tout à coup l’éboulement d’une petite avalanche de cendre dégagea deux tisons mélancoliquement embrassés ; un peu de flamme frissonna, jaillit, pâlit, se ranima, et grandit enfin jusqu’à illuminer tout l’intérieur de l’âtre. Les yeux distraits de la voyageuse, suivant machinalement ces ondulations de lumière, s’arrêtèrent tout à coup sur une inscription qui ressortait en blanc sur un des chambranles noircis de la cheminée. Elle tressaillit alors, passa la main sur ses yeux appesantis, ramassa un bout de branche embrasée pour examiner les caractères, et la laissa retomber en s’écriant d’une voix émue : Ah Dieu ! où suis-je ? Est-ce un rêve que je fais ?

À cette exclamation, la servante s’éveilla brusquement, et, se tournant vers elle, lui demanda si elle l’avait appelée.

— Oui, oui, s’écria l’étrangère ; venez ici. Dites-moi qui a écrit ces deux noms sur le mur ?

— Deux noms ? dit la servante ébahie ; quels noms ?

— Oh ! dit l’étrangère en se parlant avec une sorte d’exaltation, son nom et le mien, Pauline, Laurence ! Et cette date ! 10 février 182… ! — Oh ! dites-moi, dites-moi pourquoi ces noms et cette date sont ici ?

— Madame, répondit la servante, je n’y avais jamais fait attention, et d’ailleurs je ne sais pas lire.

— Mais où suis-je donc ? comment nommez-vous cette ville ? N’est-ce pas Villiers, la première poste après L… ?

— Mais, non pas, madame ; vous êtes à Saint-Front, route de Paris ! hôtel du Lion couronné.

— Ah ciel ! s’écria la voyageuse avec force, en se levant tout à coup. La servante épouvantée la crut folle et voulut s’enfuir ; mais la jeune femme l’arrêtant : — Oh ! par grace, restez, dit-elle, et parlez-moi ! Comment se fait-il que je sois ici ? Dites-moi si je rêve ? Si je rêve, éveillez-moi !