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Westminster les éclatans succès obtenus dans les épreuves académiques. En devenant propriétaire de quelques masures en ruines, votre père vous avait acheté un siége au parlement ; et si vous en fîtes, en 1832, le sacrifice avec joie, ce fut pour vous asseoir sur celui que les électeurs de votre comté ont été fiers et heureux de vous offrir. À peine au parlement, une éclatante alliance s’est d’elle-même offerte à vous sans que vous l’ayez briguée, et le plus vieux sang de la conquête normande n’a pas hésité à s’unir à celui du descendant de l’ouvrier fier de ses pères comme de lui-même.

Groupez, monsieur, dans une seule vie les faits si divers qui se déroulent dans ce cadre de plus d’un siècle ; au lieu de quatre générations élevant pierre à pierre l’édifice d’une famille parlementaire, représentez-vous un seul homme affrontant toutes ces épreuves, subissant toutes ces vicissitudes, passant, dans sa rapide carrière, du soin de faire sa fortune à celui de fonder son crédit politique, et vous aurez une juste idée des excitations de toute nature réservées à la société française. Dans cette arène où toutes les ambitions se précipitent au gré de toutes les cupidités, aucune barrière n’est élevée par la loi, aucune règle n’est imposée par les mœurs, et le pouvoir ne tente aucun effort pour modérer, en la régularisant, l’action d’un principe qui, plus que tout autre, réclamerait sa haute et intelligente tutelle. Impassible devant la concurrence illimitée qui, dans les transactions commerciales, se résout en faillites innombrables, et, dans la vie sociale, en redoutables déclassemens de position, la législature ne s’enquiert pas même des moyens de rendre cette concurrence moins désastreuse ; elle semble l’accepter comme un mal sans remède, comme la conséquence forcée du principe de notre gouvernement.

Je ne crois pas que les sociétés humaines doivent s’exposer à périr par fidélité à la logique ; je suis bien loin de penser d’ailleurs que le principe de 89 repousse une organisation fondée sur des délais obligés, sur des épreuves successives et vraiment sérieuses ; j’estime surtout qu’il serait possible de ne pas concentrer toutes les ambitions et tout le mouvement politique sur un seul point, et qu’il y aurait quelque chose à faire pour rendre la vie à la partie si déplorablement paralysée de nos institutions constitutionnelles. Mais achevons, monsieur, le diagnostic de notre société contemporaine, avant de nous engager dans le vaste champ des projets et des hypothèses.

Vainement chercheriez-vous dans les rangs divers de la bourgeoisie française des doctrines et des théories politiques distinctes les