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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

bords de la Tamise, on le réclame en influence morale et politique sur ceux de la Seine ; il faut à l’action de la France une part d’autant plus large, qu’il y a chez elle moins de préoccupations égoïstes ; placée dans le monde à la tête de ce qui s’élève, elle ne saurait accepter comme siennes des œuvres sans avenir ; elle ne prête pas son appui aux ruines qu’on voudrait proclamer éternelles, et par la loi de sa nature, autant que sous l’inspiration de son intérêt même, elle voit d’un œil favorable les réactions d’une politique naturelle contre des combinaisons artificielles ou oppressives, et ne se croit point obligée de soutenir des arrangemens pris trop souvent par antipathie pour elle.

Puisse ceci être compris par votre gouvernement aussi bien que vous le comprenez vous-même, monsieur ; car votre intelligence élevée apprécie dans toute leur étendue les devoirs imposés à la France par sa position en Europe, devoirs impérieux qu’elle ne saurait immoler aux convenances de personne. Il n’y a d’alliance sincère et durable que dans des conditions avantageuses et vraies, et en politique, aussi bien que dans les transactions privées, ce sont, passez-moi le proverbe, les bons comptes qui font les bons amis. Puisse s’asseoir et se consolider sur de telles bases cette alliance des deux grandes nations constitutionnelles, dont la rupture serait une épreuve de plus ajoutée à celles qui menacent le système représentatif dans le présent et dans l’avenir ! Mais ce n’est pas incidemment qu’un tel sujet se peut débattre.

Pendant que vous allez célébrer joyeusement vos fêtes de Noël en famille, je quitte ma vie d’études et de repos pour m’acheminer vers ce monde parlementaire, destiné, on peut le craindre, à étaler une fois de plus devant l’Europe le spectacle d’une agitation stérile et d’une universelle impuissance. Cependant j’ai foi dans la fortune de mon pays ; je crois que la monarchie de 1830 représente dans le monde une idée assez vivace pour résister aux embarras qui l’assaillent à la seconde période de son établissement, et je persiste à penser qu’un jour venant, la France saura organiser la liberté, comme elle a su la conquérir. Je vous quitte, monsieur, sur cette espérance, à laquelle je sais que vous vous associez du fond du cœur.


L. de Carné.