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la tradition et l’expérience ; des fortunes soudaines qui disparaissent sans laisser plus de semence qu’elles n’avaient de racine ; une excitation incessante vers un but que tous croient atteindre et que nul ne possède avec sécurité : ce sont là des dangers que la législation, dans son imprévoyance, me paraît avoir tout fait pour développer, sans rien tenter pour les restreindre.

Une hiérarchie exclusivement assise sur la valeur respective de chaque individualité est chose fort difficile à organiser, plus difficile encore à maintenir. Dans un état aristocratique, rien n’est plus aisé que de constater si le nom de telle famille est inscrit sur le livre d’or ; dans une démocratie, où la capricieuse faveur du peuple élève seule les fortunes politiques, le premier démagogue pourvu d’une audace plus imperturbable ou de poumons plus puissans prévaut légitimement contre l’idole de la veille ; sous le despotisme, un portefaix du sérail ou un pêcheur du Bosphore se réveille grand-visir, si un regard de son maître s’est abaissé sur lui. Mais lorsque tous peuvent aspirer à tout, sous la condition imposée à chacun de constater sa supériorité dans une lutte sans repos, lorsque le pouvoir est au concours, qu’il faut combattre pour l’atteindre, et combattre bien plus encore pour le garder ; quand au-dessus des puissances constituées s’élève celle de l’opinion, et que la presse regarde en face la tribune au lieu de se tenir à ses pieds, comme chez vous, vous comprenez tout ce qu’un tel état admet de péripéties imprévues, suscite d’ambitions et provoque d’amers désappointemens.

Vos compatriotes ne prennent pas assez la peine d’étudier une société en contraste complet avec la vôtre, malgré l’apparente analogie des institutions. Cependant cette étude leur donnerait seule le mot du grand problème qui se pose aussi pour eux ; seule également, elle pourrait vous initier aux causes de ce vague et universel malaise provoqué par le jeu d’institutions appliquées contrairement à leur génie et sans les modifications qu’une telle différence rendra plus tard, inévitables.

Vous m’avez fait l’honneur de me conter, et je veux la redire à mes concitoyens, l’histoire de votre famille, admirable et curieux exemple de cette marche progressive et mesurée de toutes les fortunes politiques au sein de la Grande-Bretagne. Je ne sais rien de plus propre à faire comprendre les résultats si divers des mêmes institutions de l’un et de l’autre côté de la Manche.

Votre bisaïeul, simple ouvrier dans un comté du nord, esprit inventif et réfléchi s’il en fut, trouva un procédé nouveau pour forer