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pait, d’après le système de Ptolémée, suivi par Dante en cela comme en tout le reste.

Le poète, qui ne manque guère une occasion d’attaquer l’ambition mondaine de la papauté, n’aurait pas désavoué l’allégorie hardie et bizarre par laquelle Guariento a désigné notre planète. Il la personnifie sous les traits d’un homme assis sur un trône, couronné d’une tiare, portant dans la main droite un globe et tenant de l’autre un sceptre terminé par une croix. C’est désigner assez clairement les prétentions de la tiare sur le monde.

L’un des personnages les plus terribles du moyen-âge est Ezelino, tyran de Padoue. Ce barbare, de race germanique, et qui, par un singulier hasard, s’appelait le petit Attila[1], fut le champion implacable du gibelinisme, et, pour cette raison sans doute, a trouvé grace devant M. Leo, qui en fait un correcteur nécessaire de la légèreté italienne. En effet, les mesures d’Ezelino étaient sévères. Un jour, il ordonna d’enfermer douze mille hommes dans une enceinte de bois et d’y mettre le feu.

Bien que devenu gibelin quand il écrivit l’Enfer, Dante n’a pas vu Ezelino du même œil que M. Leo. Il a marqué au monstre sa place dans le cercle des violens, et l’a plongé pour l’éternité dans le sang, où il s’était baigné durant sa vie[2].

Comme les hommes se souviennent long-temps de ceux qui les écrasent, la mémoire d’Ezelino est restée à Padoue mêlée aux pieuses légendes dans lesquelles figure saint Antoine, le saint par excellence, il santo, parmi les fresques consacrées à retracer divers faits miraculeux accomplis par saint Antoine, à côté de la jument qui laisse là son avoine pour s’agenouiller devant l’eucharistie, et de l’hérétique qui se convertit en voyant jeter par la fenêtre un verre sans le casser. Le saint est représenté apparaissant à un moine, et lui annonçant que Padoue sera prochainement délivré du tyran, et plus loin admonestant Ezelino, qui tombe à genoux.

On a cru reconnaître un portrait d’Ezelino dans un buste qui se voit à côté de l’admirable chapelle de Saint-Antoine, chef-d’œuvre de l’architecture et de la sculpture du XVIe siècle. L’air farouche de la tête, rendu encore plus sensible par la manière dont elle se détache dans l’ombre de l’enfoncement où elle est placée, irait bien au tyran

  1. Le nom germanique d’Attila est Etzel, dont le diminutif est Etzelein, d’où Ezelino, Eccelino.
  2. Inf., c. XII, 109.