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de montrer ses connaissances en blason aussi bien qu’en vénerie. Bien que jeté d’abord dans les rangs populaires, il était aristocrate dans l’ame ; il avoue s’être réjoui de sa noblesse, même en paradis. Il s’élève contre le mélange des familles, qui, selon lui, est la perte des états. Il faut donc, pour avoir de Dante une idée complète, voir en lui, à côté du théologien, du savant, du poète, du politique, le gentilhomme.

Mais la raison de Dante était si forte, que par momens elle l’élevait au-dessus de ses sentimens et de ses préjugés habituels. Dans le Convito, il a écrit plusieurs pages très énergiques pour établir que la seule noblesse véritable est la vertu[1], et pour prouver que celle du sang n’a aucun fondement rationnel.

Cette famille des Scrovigni, une des plus illustres de Padoue, et à laquelle appartenait Madona Pietra, se rattache encore à Dante par un autre lien. C’est un Scrovigni qui a fait bâtir la fameuse chapelle de l’Arena, où sont les fresques du Giotto représentant le jugement dernier et d’autres sujets. La tradition veut que le Giotto ait exprimé dans ces peintures les idées de Dante ; elle ajoute même que le peintre était venu à Padoue tout exprès pour y voir le poète. Le premier coup d’œil donné au Jugement dernier peint par le Giotto sur un des murs de l’Arena, montre l’erreur de cette supposition. Ce n’est pas ici comme à l’Annunziata de Florence, ni même comme au Campo Santo de Pise ; le Giotto, dans son enfer, ne suit point la donnée dantesque ; il s’abandonne évidemment à sa propre fantaisie. Les damnés embrochés ou pendus tiennent une grande place dans sa composition. Il y a là une femme qui s’élance vers le juge terrible, les mains jointes, suppliante, éperdue, Madeleine du désespoir. Cette figure et plusieurs autres sont entièrement de l’invention du Giotto. Deux détails seulement peuvent rappeler Dante d’une manière un peu détournée. Dans une sorte de bolga, on voit des malheureux plongés la tête la première, et dont les jambes s’agitent en l’air comme celles du pape Nicolas III. Plusieurs têtes de réprouvés portent une tonsure c’est un rapport de plus avec Dante, qui place tant de personnages ecclésiastiques, dans son Enfer.

Ces peintures font comprendre ce que Dante veut dire quand il parle de serpens qui ont des pieds, dans le fameux passage où il décrit la transmutation réciproque de l’homme en serpent et du serpent en homme. On voit dans la fresque du Giotto un grand dragon vert ap-

  1. Convito, pag. 219.