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positive, est cette pomme de pin colossale en bronze placée aujourd’hui au Vatican sous l’abside de Bramante, et alors dans la cour entourée d’un portique au-devant de la vieille basilique de Saint-Pierre. Elle jouissait d’une certaine popularité ; car, dans les peintures qui représentent Saint-Pierre dans son état primitif, celle, par exemple, qui se voit à Saint-Martin, on a eu soin de rappeler l’existence de la pigna, et le peintre l’a mise dans l’intérieur de la basilique, à l’entrée de la nef, où elle n’a jamais été. Dante compare à cette énorme pomme de pin la tête d’un géant qu’il aperçoit à travers la brume dans le dernier cercle de l’enfer[1]. « Sa face me paraissait grosse et longue comme la pigna de Saint-Pierre à Rome, et les autres membres étaient en proportion. »

Remarquez toujours le même procédé pour rendre accessible à l’imagination ce qui semble devoir lui échapper. Ici Dante prend pour un point de comparaison un objet d’une grandeur déterminée ; la pigna a onze pieds, le géant devait donc en avoir soixante-dix : elle fait, dans la description, l’office de ces figures que l’on place auprès des monumens pour rendre plus facile à l’œil d’en mesurer la hauteur.

Cette pomme de pin a été trouvée près du tombeau d’Adrien, dont probablement elle ornait le faîte. On a prétendu, ce qui est de toute invraisemblance, qu’elle était placée sur la coupole du Panthéon : elle eût dérangé l’économie de la lumière dans ce beau monument, construit de manière à ne recevoir de jour que par l’ouverture pratiquée à son sommet. D’ailleurs, une pomme de pin était un ornement convenable pour un tombeau. On sait que le plus grand nombre des sarcophages antiques sont décorés de représentations bachiques qui, vraisemblablement, faisaient allusion aux doctrines enseignées dans les mystères et au sort des initiés après la vie. Or, la pomme de pin se rencontre souvent dans ces représentations symboliques. Non-seulement elle orne une extrémité et quelquefois les deux extrémités du thyrse de Bacchus, mais dans plusieurs bas-reliefs funèbres elle figure parmi les offrandes du sacrifice[2]. C’était donc à la décoration d’un lieu funèbre que devait servir la pigna, sur le compte de laquelle je ne me serais pas arrêté aussi long-temps si Dante n’en avait parlé, honneur dont beaucoup d’autres débris du passé étaient bien plus dignes.

  1. Inf., chant XXXI, v. 60.
  2. Musée du Vatican, salle des candélabres. Voir Beschreibung der stadt Rom, tom. II, seconde partie, pag. 262-263.