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corruption, porte le nom de Monte-Mario, et sur laquelle se dressent les cyprès de la villa Mellini.

Et à cette époque combien Rome était plus riche en monumens de l’antiquité qu’elle ne l’est de nos jours ! Robert Guiscard, il est vrai, avait fait, en 1084, cette irruption qui fut si funeste aux édifices des Romains, brûlant et ravageant tout, depuis Saint-Jean-de-Latran jusqu’au château Saint-Ange[1]. Mais nous savons que beaucoup de précieux restes de l’antiquité, maintenant détruits, subsistaient encore quand Dante écrivait, et même long-temps après lui.

En voyant ce qui a été détruit depuis le XVe siècle, on acquiert la triste conviction que les âges civilisés ont plus dépouillé Rome que les âges d’ignorance, et que les architectes ont fait plus de mal en ce genre que les barbares. Les barbares n’en savaient pas assez et n’avaient pas assez de patience pour démolir des monumens romains ; mais, avec les ressources de la science moderne et la suite d’une administration régulière, on est venu à bout de presque tout ce que le temps avait épargné. Il y avait, par exemple, au commencement du XVIe siècle, quatre arcs de triomphe qui n’existent plus ; le dernier, celui de Marc-Aurèle, a été enlevé par le pape Alexandre VII. On lit encore dans le Corso l’inconcevable inscription dans laquelle le pape se vante d’avoir débarrassé la promenade publique de ce monument, qui, vu sa date, devait être du plus beau style. En outre, on a eu la fureur d’orner de marbres antiques les églises, presque toutes d’un goût détestable, bâties à Rome depuis deux cents ans. Ces églises font peine à voir, car chaque chapelle, chaque autel, chaque balustre rappelle un acte de vandalisme et de destruction. Ce qui a pu échapper achève maintenant de disparaître, transformé en coupes, serre-papiers et autres colifichets que tous les désœuvrés de l’Europe emportent au lieu de souvenirs et d’études qui ne se vendent pas dans les magasins de curiosités de la place d’Espagne : heureux quand ils ne cassent pas le nez d’une statue ou la feuille d’un chapiteau pour voler bêtement un morceau de pierre ! C’est le pillage en petit après le brigandage en grand. Du reste, les Romains eux-mêmes avaient donné l’exemple de ces voleries que la civilisation devrait proscrire. Les colonnes du temple de Jupiter Capitolin avaient été enlevées à celui de Jupiter Olympien.

  1. « Hostiliter incedens et vastans à palatio Laterani usque castellum S.-Angeli. » (Romuald. Salernitan., Chronicon rerum It. hist., tom. VI.) — « Dux (Robertus) ignem exclamans, urbe accensa, ferro et flamma insistit. » (Hist. sicul. rerum, t. V.)