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VOYAGE DANTESQUE.

Apennins, nous parla de Dante, de son séjour à l’Avellana, et, après nous avoir récité les vers de la Divine Comédie que j’ai cités plus haut, nous mena dans une salle attenant à la bibliothèque, où le buste du poète est placé dans une niche au-dessous de laquelle est une inscription latine dont voici la traduction : « Étranger, cette chambre qu’habita Dante Alighieri, et où il composa, dit-on, une partie considérable de son œuvre presque divine, tombait en ruines et allait être détruite. Philippe Rodolphe, neveu du cardinal Laurent-Nicolas, summi collegii prœses, mu par son insigne piété envers son concitoyen, a réparé ce lieu et a fait placer ici ce témoignage pour rappeler la mémoire d’un grand homme. Calendes de mai 1557. »

Les moines ont voulu s’unir à ce pieux hommage ; ils ont écrit au bas des lignes qu’on vient de lire : « Les moines camaldules, après s’être assurés de la vérité du fait, ont placé ce portrait dans ce lieu restauré par eux (kal. nov. 1622). » Par cette seconde inscription, les bons pères semblent revendiquer pour eux-mêmes le mérite d’avoir exécuté le plan de Philippe Rodolphe. Cette émulation d’hommage les honore.

On s’empressa de nous mener visiter les chambres de Dante ; un jeune novice en robe blanche, une lampe suspendue à la main, nous suivait à travers les corridors et les escaliers du cloître. On nous montra deux cellules occupées par des novices ; dans l’une d’elles séchaient de fort beaux raisins. Un vieux père dit gaiement au jeune habitant de la cellule : « Dante n’avait pas de si beaux raisins ! » Ce qui parut très plaisant, car on rit beaucoup. Il était curieux de voir le grand souvenir littéraire si familier à ces reclus dans cette solitude reculée, au sein des montagnes silencieuses.

Je dois de la reconnaissance à Dante pour m’avoir conduit dans un lieu remarquable où je ne serais probablement jamais allé sans lui. C’est toujours avec un singulier plaisir que je dors une nuit dans ces cellules dont les habitans ordinaires y dormiront toutes leurs nuits jusqu’à la dernière. J’aime à être réveillé par la cloche qui sonne les offices de la nuit dans la solitude. J’aime les questions des moines sur ce qui se passe dans le monde. Ceux-ci étaient fort occupés des chemins de fer. L’abbé me parla de M. de La Mennais et de M. Cousin, et par-dessus tout de M. de Châteaubriand ; je fus ému de le voir, à mon nom, se découvrir et saluer la mémoire de mon père ; et puis, c’étaient des rires d’écolier à tout propos, une certaine enfance de cœur qui s’égaie pour les moindres choses. Tout fait évènement dans la monotonie de la vie monastique. On se fit une grande joie de