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gues teutoniques ? Ou enfin, formaient-ils cette foule plébéienne que César a montrée abattue sous le joug de l’aristocratie ? Rechercher l’état des personnes, c’est établir la condition des terres, c’est faire l’histoire de la propriété. M. Laboulaye s’est abstenu de soulever des questions qu’il n’est pas possible de résoudre avec autorité : c’est trop de discrétion en pareille matière. Il y a en histoire des doutes savans, qui sont aussi instructifs que la discussion d’un texte. Les premières pages de toutes les annales manquent toujours de précision, et les faits sortent forcément de certaines conjectures, comme l’arbre des racines qui disparaissent dans le sol. Il ne serait pas permis de négliger absolument l’âge celtique, si l’on écrivait spécialement l’histoire du droit de propriété dans notre pays. On sait, en effet, qu’à l’exception de la province qui, plus d’un siècle avant César, avait subi dans toute sa rigueur le droit de conquête, la Gaule, épuisée mais non rendue, obtint du vainqueur le libre exercice de ses lois et la consécration des intérêts existans. Après César vint la phalange des jurisconsultes, qui entreprit de compléter par la discussion l’œuvre ébauchée par les armes. La propriété, nécessairement ébranlée par la conquête, fut replacée sur une base dont le plan appartenait au génie romain. Mais cette restauration fut à coup sûr lente et laborieuse, et il serait peut-être fort difficile de dire à quelle époque de l’ère gallo-romaine elle se trouva pleinement accomplie.

Pour l’époque où la loi romaine devint le droit commun dans la Gaule, nous soumettrons à M. Laboulaye quelques observations, moins comme des critiques que comme l’expression de nos doutes. Son livre établit seulement deux nuances dans les conditions de la propriété : le droit quiritaire, qui fut le privilége des Romains nés à l’ombre du Capitole, et le droit provincial. Nous croyons cependant que les titres de la possession dans les provinces étaient loin d’être uniformes. C’est par la Gaule que nous en jugeons. N’y avait-il pas une grande différence entre la condition des propriétaires ruraux qui avaient la libre disposition de leurs fonds, et jouissaient même de certains priviléges attachés à la terre, et celle des citadins, qui, pour la plupart enrégimentés en corporations, ne possédaient que comme usufruitiers, bien qu’ils augmentassent le fonds commun par leur industrie ? La classe qui tenait dans les cités gallo-romaines le rang de la bourgeoisie moderne, les décurions, pouvaient posséder en propre ; mais ce droit écrit dans la loi n’était qu’illusoire, puisque leurs biens, hypothéqués en garantie des impôts dont ils étaient les collecteurs responsables, finirent par être engloutis par le fisc, qui devint ainsi propriétaire d’une grande partie du territoire. La loi des colonies militaires n’était pas non plus celle qui régissait les colons attachés aux glèbes patrimoniales. Pour prouver enfin que la propriété était constituée dans la Gaule d’une façon fort capricieuse, il suffirait de rappeler l’inégale distribution des charges publiques. Des recherches sur la fiscalité romaine, dirigées dans ce but, ne seraient pas un vain jeu d’érudition. Pour celui qui a pénétré profondément la constitution économique des peuples, l’histoire n’a plus d’obscurités. Les