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leur refuser les honneurs de la discussion sans s’accuser soi-même de négligence.

Le véritable point de départ pour M. Waleknaër est le VIe siècle avant notre ère, c’est-à-dire l’époque où il est permis de préciser les dates d’après les autorités classiques. Dès-lors, tous les documens grecs et latins qui peuvent servir à déterminer la circonscription des états et l’assiette des villes sont rassemblés dans un travail qui est devenu pour ces textes la plus judicieuse concordance, le commentaire le plus abondant et le plus décisif. Le géographe rencontre de grandes difficultés quand il remonte jusqu’à ces temps où les populations, dans toute la turbulence du premier âge, n’ont pas encore eu le temps de se condenser et de prendre racine dans le sol. L’instinct ou l’intérêt les groupe en peuplades jalouses, qui, toujours en mouvement, s’entrechoquent, se relancent, s’éparpillent, se fondent l’une dans l’autre : un succès les gonfle démesurément : un revers les amoindrit, au point de les rendre imperceptibles. Pour limiter la place qu’elles ont occupée sur la scène historique, il faut suivre minutieusement la chronologie des faits, et dégager du récit des historiens les résultats définitifs de chaque révolution. Cette méthode, indiquée par le programme du concours, a été celle de M. Walckenaër. Le premier fait saisissable est l’établissement des Grecs de l’Asie mineure sur les côtes méridionales de la Gaule. C’est pour l’auteur une occasion de parcourir les plages méditerranéennes, sur les traces du plus ancien des géographes connus, de Scylax, qui écrivait 492 ans avant Jésus-Christ. Les peuples qu’il y rencontre dès cette époque sont des Liguriens, issus probablement de la famille ibérique, ou tout au moins mélangés d’Ibères. La plus considérable de ces tribus liguriennes est celle des Ségobrigiens qui reçoivent sur leur territoire les aventuriers de Phocée, à qui nous devons Marseille. De tous les peuples répandus dès-lors dans l’intérieur de la Celtique, on ne connaît que ceux qui ont été signalés par Tite-Live, pour avoir débordé à plusieurs reprises sur l’Italie. M. Walckenaër, qui a développé d’une façon fort intéressante les admirables pages de l’annaliste latin, décrit l’itinéraire et les résultats de six expéditions, depuis celle de Bellovèse, 590 ans avant Jésus-Christ, jusqu’à la prise de Rome par Brennus, deux siècles plus tard. La marche d’Annibal à travers la Gaule fait encore époque dans l’histoire de la géographie. On sait que les récits anciens laissent du doute sur le lieu où les Carthaginois ont franchi les Alpes, et que ce point d’érudition a déjà fait éclore nombre de volumes. Suivant M. Walckenaër, le passage s’est effectué vers le lieu où se trouve aujourd’hui Briançon. Vient enfin l’époque où les Romains, après s’être assimilé tous les peuples de l’Italie, envahissent à leur tour la Gaule chevelue. Les matériaux de toute nature ne cessent dès-lors de s’accumuler, et il devient possible de reconstruire fidèlement l’ancien monde.

Plusieurs savans, dont l’opinion est confirmée par celle de M. Walckenaër, ont avancé que, pour les quatre premiers siècles de notre ère, la Gaule transalpine est de tous les pays celui dont la géographie politique peut être rétablie avec le plus de précision. Quand César pénétra dans la Gaule, la popu-