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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

Aucun intérêt, fût-il la base de l’état comme la propriété, ou la règle des mœurs comme la religion, ne saurait à ce titre conférer un droit spécial ni obtenir une part de représentation proportionnée à son importance. La volonté du peuple s’exprimant par le suffrage universel, se réalisant par un gouvernement dont il peut, chaque jour et à son gré, changer les agens et les formes, la volonté du peuple fait seule la vérité sociale, seule elle valide les institutions ; tout existe par elle, rien n’existe en dehors d’elle.

Vous savez comment naquit cette doctrine que l’Angleterre presbytérienne et la France encyclopédique s’unirent pour engendrer. L’Amérique la réalisa, non pas sans doute dans ses dernières conséquences, mais dans certains de ses principes dont l’application s’est trouvée possible sur un riche et immense continent, par des circonstances exceptionnelles qui ne s’étaient jamais rencontrées et ne se représenteront jamais dans la vie des peuples. Les théories de Locke y avaient depuis long-temps préparé l’Europe ; Payne la formula plus didactiquement qu’aucun autre ; il présenta aux deux mondes sa théorie des droits de l’homme comme le programme d’une grande révolution consommée et l’évangile sacré de l’avenir.

Rien n’est nouveau sous le soleil, et cette idée non plus n’était pas nouvelle. Elle avait parlé, il y avait déjà plus de vingt siècles, par la bouche des Cléon et des Démade ; elle avait fait exiler Aristide le juste et Thémistocle le victorieux, condamner Périclès, et boire la ciguë à Socrate et à Phocion ; elle dominait toute cette histoire que Hobbes estimait tellement propre à guérir vos pères des ardeurs démagogiques, que dans ce seul but, au rapport de Bayle, il traduisit pour eux Thucydide.

Rentrant ainsi dans le monde sous la protection de la révolution américaine à l’époque où la doctrine qui triomphe aujourd’hui se produisait dans les cahiers des bailliages et à la tribune des états-généraux, l’idée démocratique chemina d’abord côte à côte avec celle-ci. Elles s’entendirent pour rédiger à frais communs la fameuse déclaration des droits ; et lorsqu’on prend la peine de parcourir l’indigeste discussion engagée aux premiers jours d’août 89, au sein de la constituante, sur ce morceau de métaphysique gouvernementale, on voit combien étaient déjà distinctes en soi, mais encore confuses dans leur énonciation, les deux idées dont l’une s’intitula depuis constitutionnelle et bourgeoise, l’autre républicaine et démocratique. La distinction se trancha par le canon au 10 août 92. Depuis lors, elle ne cessa pas de se manifester à chaque phase du mouvement révolutionnaire, et