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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

année plusieurs d’entre eux succombent à cette téméraire entreprise. En 1837 il est mort vingt-deux Russes au cap Sud. En 1838, un équipage de dix-huit hommes s’arrêta aux Mille-Îles. Six mois après, leur cabane était silencieuse, et leur bâtiment désert : ces dix-huit hommes avaient cessé de vivre.

L’histoire de toutes ces côtes du Spitzberg est une douloureuse page dans les annales des voyages maritimes. Combien de navires ont été tout à coup surpris par les glaces et arrêtés au milieu de l’Océan pendant l’hiver ! combien de catastrophes terribles dont nous savons à peine quelques détails ! combien de courageux matelots qui s’éloignaient de leur pays avec l’espoir d’y revenir un jour plus riches et plus heureux, et qui ont été emportés par les flots ou ensevelis par un compagnon fidèle sur ces plages glacées !

En 1743, un marchand russe de Mesen équipa pour le Spitzberg un bâtiment monté par quatorze hommes. Ils se dirigèrent vers l’est et pénétrèrent jusqu’au-delà du 77e degré de latitude. Là ils furent tellement cernés par les glaces, qu’ils perdirent tout espoir de franchir cette barrière avant la fin de l’hiver. Quatre d’entre eux prirent une embarcation pour explorer la côte, trouvèrent une cabane et y passèrent la nuit. Pendant ce temps, le navire fut écrasé par les glaces ; les quatre matelots, en s’éveillant, n’en virent plus aucun vestige. Mais leur destinée n’était guère moins effrayante que celle de leurs compagnons. Ils n’avaient de provisions que pour un jour ou deux ; ils n’avaient pour toutes armes qu’un couteau, une hache, un fusil, de la poudre pour douze coups, et pour ustensiles une chaudière et un briquet. Avec ces tristes ressources, isolés comme ils l’étaient sur une île lointaine, condamnés à passer l’hiver au milieu des glaces, ils ne pouvaient s’attendre qu’aux souffrances les plus cruelles et à la mort. Cependant ils ne se laissèrent pas décourager ils commencèrent par enlever la neige de la cabane qui devait leur servir de refuge. Avec leurs douze coups de fusil, ils tuèrent douze rennes ; avec les débris d’un navire dispersés sur la côte, ils se fabriquèrent les meubles les plus nécessaires. Ils eurent le bonheur de tuer un ours, prirent ses nerfs pour en faire une corde et se façonnèrent un arc. Dès que leurs provisions commençaient à diminuer, ils allaient à la chasse du renne, du renard et de l’ours. La chair de l’ours était une de leurs friandises ; pour se préserver du scorbut, ils la mangeaient crue, buvaient du sang de renne tout chaud, et faisaient une ample consommation de cochléaria. Après six années passées dans cet abandon, ils aperçurent enfin un navire, et par bonheur c’était un navire russe, qui se dirigea vers eux aux signaux qu’ils lui firent, et les reconduisit à Archangel.

En 1835, il arriva aux Mille-Îles, sur la côte méridionale du Spitzberg, un évènement qui a de l’analogie avec celui que nous venons de raconter. Quatre matelots norvégiens furent envoyés à terre pour explorer le fond d’une baie. À peine avaient-ils fait un ou deux milles, qu’ils se trouvèrent surpris par une de ces brumes subites qui semblent s’élever du sein de la mer et voilent en un instant le ciel et les flots. Hors d’état de regagner le navire ou d’arriver dans la