Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/662

Cette page a été validée par deux contributeurs.
658
REVUE DES DEUX MONDES.

jaunâtre et vacillante, pareille à celle d’un cierge qui s’éteint dans la nuit. Alors l’eder cessait de se plaindre, la mouette de crier, et rien n’interrompait plus ce sombre repos du soir que le souffle de la brise courant par raffales entre les cimes des montagnes, et le retentissement des glaces flottantes que la vague ou le vent chassait l’une contre l’autre.

La presqu’île avec son observatoire, ses tentes, ses longues piques plantées en terre et garnies de thermomètres, présentait aussi un point de vue très pittoresque. De là, les peintres aimaient à dessiner la corvette avec les nasses de glace qui parfois l’entouraient comme un rempart, et parfois la voilaient jusqu’à la hauteur des bastingages. De là nous aimions à voir la pleine mer ouverte devant nous, l’entrée de la baie par laquelle nous songions à nous en aller bientôt reprendre le chemin de France. Cette presqu’île est le cimetière de ceux que la mort a surpris sur cette grève désolée. Elle est parsemée de cercueils qui ont été enterrés avec soin et recouverts de quartiers de roc qui forment une sorte de tumulus. Mais le vent a renversé ces amas de pierre, la gelée a soulevé le cercueil, les planches se sont disjointes, et les ossemens du mort ont été emportés par l’orage ou sont tombés en poussière dans une couche de neige et de glace. Sur chacune de ces tombes s’élève une simple croix en bois portant une inscription : une date et un nom. Quelle autre épitaphe oserait-on faire dans un lieu comme celui-ci ? Deux lettres initiales placées au revers de l’inscription sont probablement le signe modeste de celui qui creusait ce sol pour ouvrir un dernier asile à son compagnon de voyage, pour donner une sépulture à son frère. Une de ces croix, entre autres, attira mon attention. Il y avait là un nom que je connaissais, le nom d’un pêcheur hollandais dont j’avais lu l’histoire et le naufrage. En le voyant, je me rappelais tout ce que ce malheureux avait souffert loin de son pays et loin des siens. Je rassemblai les pierres qui avaient protégé ses ossemens, je les remis sur son cercueil, et en accomplissant ce pieux devoir, j’éprouvai une émotion de tristesse que ces vers, si imparfaits qu’ils soient, exprimeront peut-être mieux que la prose.

Sur le plateau désert enfermé par cette onde,
Où la brume s’étend comme un voile de deuil,
Mon ame a palpité d’une pitié profonde,
Pauvre pêcheur du Nord, en voyant ton cercueil.

Le marchand t’avait dit : — Va sur la mer lointaine,
Explore les écueils et poursuis tour à tour
Le phoque monstrueux, le morse et la baleine,
Puis viens. Je te promets de l’or à ton retour. —

Et toi, pour enrichir ton enfant et ta femme,
Tu partis, tu quittas le rivage natal,