Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/613

Cette page a été validée par deux contributeurs.
609
ESSAI SUR LE DRAME FANTASTIQUE.

l’absolvent. Il semble que Goethe ait eu horreur d’une conclusion morale, d’une certitude quelconque.

Aussi malheur à qui a voulu imiter Goethe ! En dépouillant systématiquement toute espèce de conviction, en déclarant la guerre dans son propre cœur à toute sympathie, pour se soumettre à la loi étroite du vraisemblable vulgaire, qui pourrait être grand ? Goethe seul a pu le faire, Goethe seul a pu demeurer bon, et ne jamais écrire une ligne qui dût devenir funeste à un esprit droit, à un cœur honnête. C’est que Goethe (je veux le répéter) n’était pas seulement un grand écrivain, c’était un beau caractère, une noble nature, un cœur droit, désintéressé. Je ne le juge d’après aucune de ses biographies, je sais le cas qu’on doit faire des biographies des vivans ou des morts de la veille. Je n’ai même pas encore lu les Mémoires de Goethe ; je me méfie un peu du jugement que l’homme, vieilli sans certitude, doit porter sur lui-même et sur les faits de sa vie passée ; je ne veux juger Goethe que sur ses créations, sur Goetz de Berlichingen, sur Faust, sur Werther, sur le comte d’Egmont. Dans tous ces héros je vois des défauts, des faiblesses, des erreurs qui m’empêchent de me prosterner ; mais j’y vois aussi un fonds de grandeur, de probité, de justice, qui me les fait aimer et plaindre. Ce ne sont pas des héros de roman, mais ce sont des hommes de bien. Je m’afflige de ne point trouver en eux ce rayon céleste qui me transporterait avec eux dans un monde meilleur ; mais je sais qu’ils ne peuvent pas avoir été éclairés de cette lumière nouvelle. Elle n’était pas encore sur l’horizon lorsque Goethe jetait sa vie et son génie dans le creuset du siècle. C’est une grande figure sereine au milieu des ombres de la nuit, c’est une majestueuse statue placée au portique d’un temple dont le soleil n’illumine pas encore le faîte, mais où le pâle éclat de la lune verse une lumière égale et pure. Une autre figure est placée immédiatement au-dessus, moins grandiose et moins parfaite ; elle va pourtant l’éclipser, car déjà la nuit se dissipe, le soleil monte, et le front de Byron se dore aux premiers reflets. L’idéal, un instant éclipsé par le travail rénovateur du siècle, reparaît dégagé des nuages de cette philosophie transitoire, vainqueur de la nuit du despotisme catholique. Il vient lentement, mais ceux qui sont placés pour le voir, saluent sa venue du haut de la montagne.