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ESSAI SUR LE DRAME FANTASTIQUE.
travers de l’activité des sphères nouvelles ; mais cette existence sublime, ces ravissemens divins, comment, ver chétif, peux-tu les mériter ? C’est en cessant d’exposer ton corps au doux soleil de la terre, en te hasardant à enfoncer ces portes devant lesquelles chacun frémit… Ose d’un pas hardi aborder ce passage, au risque même d’y rencontrer le néant ! »

Il faudrait citer d’un bout à l’autre tous ces monologues de Faust, où Goethe a peint de couleurs si magnifiques la soif de la connaissance de l’infini. Mais qu’on y cherche une seule phrase qui prouve que cette soif de l’orgueil et de la curiosité soit échauffée par un sentiment d’amour divin, à peine trouvera-t-on quelques mots qu’il fallait bien mettre dans la bouche du docteur Jean Faust pour lui conserver un peu la physionomie de la légende et l’esprit du moyen âge, mais qui sont si mal enchâssés, si peu dans la conviction ou dans les instincts de l’auteur, qu’ils y répandent une obscurité et une contradiction évidentes. Il faut bien le dire : le sentiment de l’amour a manqué à Goethe ; ses passions de femme n’ont été que des désirs excités ou satisfaits ; ses amitiés, qu’une protection et un enseignement ; sa théosophie symbolique, qu’une allégorie ingénieuse voilant le culte de la matière et l’absence d’amour divin. Une seule pensée d’amour eût ouvert à Faust cet abîme des cieux dont le mystère écrase son ambition. Qu’il croie à la providence, à la sagesse, à la bonté, à l’amour du créateur ; qu’au lieu de traduire ainsi le texte de la Genèse : Au commencement était la force, il écrive : Au commencement était l’amour, il ne se sentira plus seul dans l’univers en lutte avec un esprit jaloux dont, à son tour, il jalouse la puissance ; l’amour lui révélera dans son être une autre faculté que celle de dominer tous les êtres ; cette royauté du souverain esprit qui l’étonne et l’indigne lui semblera légitime et paternelle ; il n’aura plus ce besoin cuisant et insensé d’être le maître de l’univers, l’égal de Dieu ; il reconnaîtra une puissance devant laquelle il est doux de se prosterner dès cette vie, et dans le sein de laquelle il est délicieux de s’abîmer en espérance lorsqu’on s’élance vers l’avenir.

Privé de cet instinct sublime, Goethe a-t-il été vraiment poète ? Non, quoique pour l’expression et pour la forme il soit le premier lyrique et le premier artiste des deux siècles qu’il a illustrés. A-t-il été philosophe ? Non, quoiqu’il ait fait des travaux sur les sciences naturelles qui le placent, dit-on, au rang des plus illustres naturalistes, et qu’il ait su, le premier, exprimer dans un magnifique langage poétique les idées d’une métaphysique assez abstraite.

La longue et riche chaîne des travaux de Goethe me confirme dans