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Harold, qui n’en sont pourtant que des reflets arrangés à la taille de lecteurs plus vulgaires, ou des essais encore incomplets dans la pensée du poète. Quant à cet acte des Dziady, d’Adam Mickiewicz, je crois pouvoir affirmer qu’il n’a pas eu cent lecteurs français, et je sais de belles intelligences qui n’ont pas pu ou qui n’ont pas voulu le comprendre.

Est-ce que la France est indifférente ou antipathique aux idées sérieuses qui ont inspiré ces ouvrages ? Non sans doute. Dieu me préserve d’accorder à l’Allemagne cette supériorité philosophique à laquelle le moindre de nos progrès politiques donne un si éclatant démenti, car je ne comprends rien à une sagesse qui ne rend pas sage, à une force qui ne rend pas fort, à une liberté qui ne rend pas libre ; mais je crains que la France ne soit beaucoup trop classique pour apprécier de long-temps le fond des choses, quand la forme ne lui est pas familière. Quand Faust a paru, l’esprit académicien qui régnait encore s’est récrié sur le désordre, sur la bizarrerie, sur le décousu, sur l’obscurité de ce chef-d’œuvre ; et tout cela, parce que la forme était une innovation, parce que le plan, libre et hardi, ne rentrait dans aucune de nos habitudes consacrées par la règle, parce que Faust ne pouvait pas être mis à la scène, que sais-je ? parce que l’académie en était encore à l’Art poétique de Boileau, qui certes n’eût pas compris, et eût été très bien fondé, de son temps, à ne pas comprendre ce mélange de la vie métaphysique et de la vie réelle, qui fait la nouveauté et la grandeur de la forme de Faust.

Il ne fut peut-être donné qu’à un seul contemporain de Goethe de comprendre l’importance et la beauté de cette forme, et ce contemporain, ce fut le plus grand poète de l’époque, ce fut lord Byron. Aussi n’hésita-t-il pas à s’en emparer ; car, aussitôt émise, toute forme devient une propriété commune que tout poète a droit d’adapter à ses idées ; et ceci est encore la source d’une grave erreur, dans laquelle est tombée trop souvent la critique de ces derniers temps. Elle s’est imaginé devoir crier à l’imitation ou au plagiat, quand elle a vu les nouveaux poètes essayer ce nouveau vêtement que leur avait taillé le maître, et qui leur appartenait cependant aussi bien que le droit de s’habiller à la mode appartient au premier venu, aussi bien que le droit d’imiter la forme de Corneille ou de Racine appartient encore, sans que personne le conteste, à ceux qui s’intitulent aujourd’hui les conservateurs de l’art.

Et cependant on n’avait pas crié au plagiat lorsque Molière et Racine avaient traduit littéralement des pièces quasi-entières d’Aristo-