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REVUE LITTÉRAIRE.

xvie siècle jusqu’en 1662, a rendu aux lettres, par le secours de ses belles presses et par la profonde érudition de quelques-uns de ses membres, de si éminens services, deux figures dominent surtout, le premier Robert et le second Henri. M. Renouard nous fait pénétrer dans l’intérieur de Robert, où tout le monde, même les servantes, parlaient latin (quœdam depravaté, avouait Henri) ; il est complet sans ennui sur les persécutions de la Sorbonne contre les nombreuses éditions de la Bible, sur tous ces lexiques dont le plus difficile, le Thesaurus linguoe latinoe, était composé par l’imprimeur lui-même, faute d’érudit assez dévoué pour l’entreprendre. La vie agitée de Henri, son caractère brusque et rude, sa destinée incessamment errante et toujours scientifiquement active, sont mises en relief avec habileté. On s’intéresse vivement au prodigieux auteur du Trésor grec, à l’helléniste qui a donné tant de commentaires excellens, tant de traductions remarquables, tant de textes purs et inédits, tant de réimpressions utiles. Ces sacrifices continuels d’argent pour la science, ces voyages sans fin à la recherche d’une scholie et d’une variante meilleure, ces querelles littéraires, cette mort bizarre à l’Hôtel Dieu de Lyon, cette haine de huguenot acharné contre les moines, donnent aussi à la vie d’Henri un attrait tout particulier. On sait de plus que ce bizarre et éminent écrivain n’a pas été seulement un helléniste supérieur, un humaniste remarquable, mais aussi un des bons prosateurs de notre langue, non loin d’Amyot et de Montaigne.

On l’a dit ailleurs, Henri Estienne eut cela de commun avec Rabelais, qu’étant prodigieusement versé dans les idiomes anciens et modernes, il n’en fut pas moins partisan de notre vieille langue, admirateur de Patelin, défenseur de Marot, et, comme il le dit, « celtophile au milieu des écoliers limousins et des courtisans philausones. » Sa célèbre et bizarre Apologie pour Hérodote, pamphlet étrange, animé, plein de redites et de contes ridicules, mais aussi de causticité et d’esprit, pamphlet tant de fois réimprimé, et où, ainsi que l’insinue M. Renouard, on a si souvent fourragé et pillé sans mot dire ; ses curieux Dialogues du nouveau langage français italianisé, protestation très vive et très ingénieuse contre la mauvaise prononciation venue d’Italie avec les courtisans ; sa violente déclamation contre les déportemens de Catherine de Médicis, écrite peut-être avec Théodore de Bèze ; sa critique juste et méchante des cicéroniens dans le Nixoliodidascalus, achèvent de donner, à côté de la valeur scientifique, quelque chose de piquant et de romanesque à la mémoire de Henri Estienne.

Le nom de M. Renouard doit être désormais associé, dans l’histoire littéraire, au souvenir de nos grands et célèbres imprimeurs, et on peut dignement l’inscrire à côté des Debure et des Van Praët, dans cette science bibliographique qu’ont renouvelée et étendue les excellens travaux de M. Brunet.


Histoire de France, par M. Laurentie[1]. — Une sorte d’enthousiasme pour les vieux âges, et surtout pour les grandes choses qui se sont accomplies à toutes les époques de notre histoire, par la religion et la royauté, a présidé à la pensée première et à l’exécution de ce livre. M. Laurentie, exclusivement ramené peut-être à l’étude du passé par la fatigue et le dégoût du présent,

  1. Tomes I et II, in-8o, 1839 ; chez Lagny, rue Bourbon-le-Château, 1.