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VOYAGE DANTESQUE.

vris fut un évènement pour moi, car cette vue réveillait un souvenir dantesque. Dante se réfugia quelque temps au pied de ces hauts sommets, entre ces mamelles de rochers.

La route côtoie en serpentant de grands enfoncemens remplis de chênes magnifiques. Çà et là se dressait une tour escarpée sur un tertre de couleur jaunâtre ; à l’horizon, des montagnes rouges, comme celles d’Afrique, formaient trois pyramides.

Je n’ai rien vu de plus imposant que ce spectacle. En présence de cette fière et terrible nature, je pensais à certains préjugés sur la nature et la poésie italiennes. — Où est la molle Italie ? me disais-je, — comme en lisant l’Enfer et le Paradis on se demande où est la langue des concetti et des madrigaux. Je trouvais que ce paysage immense, abrupte et pourtant harmonieux, ressemblait à l’œuvre de mon poète. Voilà des montagnes dantesques, m’écriai-je, et, si j’eusse voulu donner carrière à mon imagination, il n’eût tenu qu’à moi de retrouver, dans les lignes anguleuses et fortement caractérisées de ces montagnes, le profil colossal de Dante.

Je ne sais si la première impression que produisit sur moi la petite ville de Gubbio ne se ressentit point de l’espèce d’extase où m’avait plongé le caractère grandiose des pays que je venais de traverser ; ce qu’il y a de certain, c’est que je fus très frappé de l’aspect qu’elle me présenta. Le château de Boson a été bâti vers le même temps que le palais vieux de Florence, et, dit-on, par le même architecte. Sa forme est semblable : une grande tour crénelée s’élance d’une plateforme ; la masse carrée du château placé à mi-côte domine et semble menacer la ville ; on dirait un aigle qui couve sa proie. J’entrai, à la tombée de la nuit, dans ce grand monument maintenant vide ; du seuil des salles ténébreuses, je voyais le ciel enflammé par un magnifique coucher de soleil. Je pensais qu’à travers ces créneaux l’exilé avait regardé ce soleil disparaître derrière les montagnes, du côté de sa patrie.

En redescendant, je rencontrai un abbé de Gubbio, à la porte de la bibliothèque. Je demandai à voir le fameux sonnet de Dante à Boson dont cette bibliothèque a la prétention de conserver le texte original et autographe. Ma requête fut agréée, et bientôt mon compagnon de voyage et moi nous nous trouvâmes en présence du précieux sonnet placé derrière un verre, à l’abri de tout contact profane. Malheureusement la moindre illusion était impossible ; la suscription du sonnet portait : Danti à Bosone, au lieu de Dante. Comme il est vraisemblable que Dante savait écrire son nom, il