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subit des sauvages horreurs de la nature alpestre et des rigueurs de la vie monacale à ce que la nature et la vie italienne ont de plus brillant, de plus animé, de plus doux. Ainsi, dans la Divine Comédie, une image gracieuse, une comparaison riante vous console des terreurs de l’enfer, ou vous délasse des sublimes contemplations du paradis.

Mais je voulais m’enfoncer plus avant dans la vallée de l’Arno, remonter jusqu’à sa source, et gravir la montagne de Falterona, son berceau, montagne du sommet de laquelle on embrasse le cours tout entier du fleuve que Dante a si énergiquement maudit.

Sur la route, on rencontre plusieurs lieux empreints de son souvenir ou de ses vers. La tour de Romena est encore debout. Là, un Bressan, nommé maître Adam, à l’instigation des comtes de Romena, fabriqua de faux florins aux armes de la république, et fut brûlé dans un lieu qui, en mémoire de cet évènement, s’appelle encore la Consuma. Chaque passant avait coutume de jeter là une pierre. Mon guide connaissait le Monceau du Mort ; mais il ignorait l’histoire de maître Adam ; il savait seulement qu’un homme avait été tué en ce lieu. C’est ainsi que souvent une tradition se survit à elle-même dans un souvenir incomplet.

Dante a eu deux motifs pour donner dans son poème une attention assez considérable à cet obscur faux-monnayeur. D’abord, falsifier le florin, ce grand instrument du commerce et de la prospérité florentine, devait être un crime aux yeux du patriote exilé de Florence. En outre, les comtes de Romena, qui s’étaient servis de maître Adam pour cette criminelle entreprise, avaient excité le ressentiment du poète ; il s’était d’abord réfugié chez eux ; puis, après qu’eut échoué la malencontreuse expédition tentée par Dante et les autres bannis pour rentrer dans Florence, indigné de la mollesse avec laquelle ces seigneurs soutenaient sa cause, il les avait abandonnés : de là peut-être cette mention d’un crime auquel ils avaient participé et qui avait été honteusement puni. Du reste, les grands personnages usaient volontiers de ce moyen d’augmenter leurs richesses. Nous voyons, dans le Paradis[1], qu’un roi d’Esclavonie avait frappé de faux ducats de Venise. On ne brûlait ni les comtes, ni les rois faux-monnayeurs, comme le pauvre maître Adam ; mais la poésie vengeresse de Dante faisait justice de ces attentats que la loi n’atteignait pas.

Maître Adam est puni de son amour coupable pour les richesses

  1. Parad., c. XIX, 140.