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VOYAGE DANTESQUE.

manqué. Du reste, rien n’est déguisé ou dissimulé de ce qu’il y a de plus cru et parfois de plus grossier dans la peinture de certains supplices ; la rixe de maître Adam, le faux monnayeur hydropique et haletant de soif, est représentée au naturel ; on dirait un duel de boxeurs. Les flatteurs sont plongés dans l’espèce de fange par laquelle Dante a voulu exprimer tout son dégoût pour les ames infectées de ce vice qui empeste les cours.

Ce qui est plus étrange, là, dans une chapelle, le pinceau du peintre n’a pas craint de reproduire cette bizarre alliance du dogme chrétien et des fables païennes que s’était permise le poète, docile au génie de son temps, et qui étonne encore plus quand on la voit que quand on la lit. Ainsi des centaures poursuivent, sur les murs de Santa-Maria-Novella, comme dans la Divine Comédie, les violens et les percent de flèches ; les harpies, souvenir profane de l’Énéide, où elles sont plus à leur place que dans l’épopée catholique, sont perchées sur les tristes rameaux d’où elles jettent des plaintes lugubres ; enfin les furies se dressent au-dessus de l’abîme sur leur tour embrasée.

En face de l’enfer, Orgagna a représenté la gloire du paradis. Les cercles célestes de Dante ne se prêtaient pas à la peinture comme les bolges infernales. Orgagna n’a donc pu suivre avec la même fidélité la fantaisie du poète. Cependant ce qui domine ces sortes de tableaux au moyen-âge, savoir, la glorification de la Vierge, est aussi ce qui couronne le grand tableau de Dante.

Dans le cloître de la même église est la chapelle des Espagnols, où se voient d’autres peintures du XIVe siècle qui ne sont point copiées de Dante, mais offrent dans leur ensemble un système de composition, et dans leurs détails des associations d’idées, qui peuvent éclairer la composition et certains détails de la Divine Comédie.

Les admirables fresques de cette chapelle, dont les auteurs sont Thadéo Gaddi et Siméon Memmi, offrent à l’œil ce mélange d’histoire et d’allégorie, ce caractère à la fois encyclopédique et symbolique qui appartient à l’œuvre de Dante, ainsi qu’à beaucoup d’autres poèmes du moyen-âge, conçus dans le même esprit, mais non avec le même génie. Siméon Memmi a fait une peinture de la société civile et ecclésiastique : toutes les conditions sociales sont rassemblées dans ce tableau, qui est comme une immense revue de l’humanité. Le pape et l’empereur figurent au centre, selon le système de Dante ; les portraits des personnages célèbres du temps s’y trouvent ; on y voit des personnages purement allégoriques, ou dont l’image est prise pour