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VOYAGE DANTESQUE.

contre de voyage de me trouver en face d’un mausolée élevé au poète dont je cherchais partout les vestiges. Dans mon enthousiasme, je lus presque à haute voix le vers heureusement emprunté à la Divine Comédie, et transporté de l’Homère ancien à l’Homère moderne :

Honorate l’altissimo poeta.

Par malheur, l’exécution du monument n’est pas digne du sentiment patriotique qui l’a inspiré. Toute la composition est froide de pensée et froide de ciseau ; les personnages allégoriques sont lourds et communs ; Dante, assis et méditant, a l’air d’une vieille femme qui fait ses comptes de ménage. Le poète est encore plus absent de Santa Croce depuis qu’on l’y a placé. Tacite disait des images de Brutus et de Cassius qu’elles brillaient par leur absence ; ici Dante est effacé par sa présence.

Pendant que la sculpture toscane échouait ainsi devant le monument de Dante, une Française, Mlle Fauveau, tentait, avec plus de succès, de reproduire la scène éternellement célèbre des deux amans de Rimini, qui a inspiré à M. Scheffer un tableau empreint d’une si délicate poésie. À chaque pas qu’on fait dans la ville natale de Dante, on rencontre des objets qui rappellent quelques peintures ou quelques allusions de son poème. Pour en citer un entre mille, dans le cloître de Santa-Croce sont des tombeaux du moyen-âge, soutenus par des cariatides qui, le cou plié et la tête penchée, semblent gémir sous le fardeau qu’elles soutiennent. On peut remarquer ailleurs de semblables figures : telles sont, par exemple, dans la loge des Lanzi, les figures accroupies sous les arceaux. C’est un souvenir des habitudes gothiques de l’architecture dans la belle et déjà classique construction d’Orgagna.

Dante avait en vue de telles cariatides quand il leur comparait l’attitude des superbes, courbés sous le poids des rochers qu’ils portent[1], attitude exprimée dans des vers que je n’essaie pas de traduire, mais qui peignent admirablement l’espèce de fatigue qu’on éprouve à regarder ces figures. Il semble, en lisant les vers du poète, qu’on voit poser devant lui son modèle[2].

  1. Purgat., cap. X, 130
  2. Vitruve fait remarquer que les anciens, dans la bonne époque de l’architecture, n’employaient jamais les cariatides qu’à porter un fardeau léger et qu’on pouvait croire soutenu par quatre personnes sans trop d’effort. Il ajoute que, dans ce cas, on supprimait toute la partie de l’entablement supérieure à l’architrave. Le moyen-âge, qui n’évitait pas ce qui pouvait présenter une image pénible, et se