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En y regardant mieux, on retrouve peu à peu la vieille Florence au sein de la nouvelle. On voit une construction moderne s’élever au-dessus d’une substruction ancienne ; des croisées à jalousies vertes se dessinent au-dessus d’un mur en pierres énormes, noires et diamantées. On trouve là les deux époques superposées. Ainsi, sur la voie Appienne, des maisonnettes de paysans sont perchées sur des tombeaux romains.

Les noms des rues transportent au temps de Dante. Souvent ce sont ceux des personnages et des familles qui figurent dans son poème. On rencontre la rue des Noirs, le crucifix des Blancs, la rue Gibeline et la rue Guelfe. En traversant ces rues à noms historiques, il semble toujours qu’on va coudoyer Farinata, Cavalcanti, ou Alighieri lui-même.

La portion de Florence où les souvenirs dantesques semblent rapprochés et concentrés, c’est celle qui avoisine la cathédrale et le baptistère. Parmi les nombreuses tours carrées qui surmontent çà et là les maisons de Florence, il en est une qu’on appelle la Tour de Dante. Auprès de la cathédrale, on voyait, il y a quelques années, une pierre sur laquelle on disait qu’il avait coutume de s’asseoir. La pierre de Dante, sasso di Dante, n’existe plus, mais une inscription tracée sur une plaque de marbre conserve le souvenir de ce souvenir, la tradition de cette tradition.

Enfin, non loin de là, existe encore le palais des Portinari. Dans ce palais était une petite fille à laquelle on donnait le nom enfantin de Bice. Le petit Dante, qui était un garçonnet du voisinage, venait partager les jeux de la jeune enfant du palais Portinari, et dès-lors commençait pour lui cette vie nouvelle qu’il a si délicieusement racontée, dès-lors était semé dans cette ame de neuf ans le germe qui devait produire un jour l’œuvre immense consacrée à immortaliser Béatrice. Ce fut un Portinari, probablement un oncle de Béatrice, qui, en 1387, fit bâtir l’hôpital de Santa-Maria-Novella. Cette date reporte aux années de la Vita nuova. Le charme qui s’attache à tout ce qui se lie au souvenir de Béatrice fait regarder avec intérêt, dans l’église, les portraits de quelques enfans de la famille Portinari.

Dans un premier voyage à Florence, j’avais déploré, comme tout le monde, que la mémoire de Dante fût absente de Santa-Croce, ce panthéon du génie et du malheur : Dante manquait à la compagnie de Machiavel et de Galilée. Quand j’entrai à Santa-Croce, en 1834, ce fut pour moi comme une fortune et une heureuse ren-