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CHRISTEL.

ces élégies d’un deuil si mélodieux, il dut s’arrêter par le trop d’émotion et comme sous l’éclair soudain d’une allusion douloureuse. Cette harpe immobile dans un angle de la chambre attirait aussi son regard, et il eût désiré que Christel y touchât ; mais la faiblesse de la jeune fille ne le lui eût pas permis sans une extrême fatigue. On se disait que ce serait pour le printemps, et qu’elle le saluerait d’un chant plus joyeux après tant de silence. Ils eurent ainsi des soirs de bonheur, sans rien presser, sans trop prévoir.

Hervé, certes, aimait Christel : l’aimait-il de véritable amour, c’est-à-dire de ce qui n’est ni voulu ni motivé, de ce qui n’est ni la reconnaissance, ni la compassion, ni même l’appréciation profonde, raisonnée et sentie de tous les mérites et de toutes les graces ? Car l’amour en soi n’est rien de tout cela, et, en de certains momens étranges, il s’en passerait. Je n’ose affirmer tout-à-fait pour Hervé ; mais il l’aimait avec tendresse, il la chérissait plus qu’une sœur ; et il est certain que, dès le second jour de cette intimité, il agita de naturels, de délicats et loyaux projets. Mieux il connut Mme M… et ses origines, et moins il prévit d’obstacles insurmontables à ses désirs dans sa propre famille à lui. Bien des fois déjà les propositions d’avenir avaient erré sur ses lèvres, et la seule timidité, cette pudeur de toute affection sincère, avait fait ses paroles moins précises, qu’il n’aurait voulu. Un soir qu’on avait plus longuement causé de guérison et d’espérance, qu’on avait projeté pour Christel des promenades à cheval au printemps, qu’on s’était promis de se diriger sur les domaines d’Hervé, vers un bois surtout de hêtres séculaires qu’avaient habité les fées de son enfance, et dont il aimait à vanter la royale beauté, il crut le moment propice, et, après quelques mots sur sa mère, à laquelle il avait parlé, disait-il, de cette visite désirée « Il est temps, ajouta-t-il d’un ton marqué, qu’elle connaisse celle qui lui vient. » Christel tressaillit et l’arrêta ; ce fut un simple geste, un signe de tête accompagné d’un coup d’œil au ciel, le tout si résigné, si reconnaissant, si négatif à la fois, avec un sourire si pâli, et dans un sentiment si profond et si manifeste du néant de pareils projets à l’égard d’une malade comme elle, que la mère nâvrée ne put qu’échanger avec Hervé un lent regard noyé de larmes.


Le printemps revenait ; avril, dès le matin, perçait avec sa pointe égayée, et les rayons autour des bourgeons, et les oiseaux à la vitre, se jouaient comme au jour où Christel, il y avait juste un an, avait remarqué les lettres fatales pour la première fois. L’horizon champê-