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continuait ; la pâleur et le froid du marbre n’avaient pas quitté ses joues ; seulement elle souriait désormais, et ses yeux, d’un bleu plus céleste, semblaient remercier d’un bonheur. Son mal réel l’obligeant à garder le repos, on ne se tenait plus dans la pièce du devant ; une personne qu’Hervé avait indiquée, une ancienne femme de charge, capable et sûre, y passait le jour, à des conditions modiques, et, tout en suivant son travail d’aiguille, répondait aux venans. C’était dans une chambre du fond, proche de celle de Mme M…, qu’on vivait retiré. La fenêtre donnait sur un petit jardin, dont le mur, très bas et assez éloigné, laissait voir au-delà, bien loin, les prairies et les collines, mais toutes dépouillées ; c’était maintenant l’hiver. Que cette chambre d’une simple et virginale élégance, qu’ornait en un coin le portrait du père, et, au-dessous, la harpe (hélas ! trop muette) de Christel, eût été agréable et riante l’été, devant cette nature bocagère, près de ces hôtes chéris ! Hervé se le disait pour la première fois aux premières neiges.

La dure saison ne fut cependant pas dénuée, pour eux, d’intimes douceurs. Sans s’interroger, ils se racontaient insensiblement leur vie jusque-là, et elle se rejoignait par mille points. Oh ! souvent, combien d’îles charmantes et variées à ce confluent des souvenirs ! Hervé et Christel n’avaient pas besoin de confronter longuement leurs ames, de s’en expliquer la source et le cours :

On s’est toujours connu, du moment que l’on aime,

a dit un poète ; mais il est doux de se reconnaître, de faire pas à pas des découvertes dans une vie amie comme dans un pays sûr, de jouir jour par jour de ce nouveau, à peine imprévu, qui ressemble à des réminiscences légères d’une ancienne patrie et à ces songes d’or retrouvés du berceau. En peu de temps ils mirent ainsi bien du passé dans leur amour. La famille d’Hervé avait des alliances en Allemagne : lui-même en savait parfaitement la langue. Quelle joie pour Christel, quel attendrissement pour la mère de s’y rencontrer avec lui comme en un coin libre et vaste de la forêt des aïeux ! La petite bibliothèque de Christel possédait quelques livres favoris, venus de là-bas par sa mère ; il leur en lisait parfois, une ode de Klopstock, quelque poème de Matthisson, une littérature allemande déjà un peu vieillie, mais élevée et cordiale toujours. Un livre alors tout nouveau, et qu’il leur avait apporté, enchanta fréquemment les heures ; c’était les Méditations poétiques; plus d’une fois, en lisant