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CHRISTEL.

La pauvre mère sommeillait-elle alors ? Elle se taisait dans son fauteuil du fond, et palpitait, à en mourir, autant que sa chère enfant. Que faire ? Plus souffrante depuis quelques jours, elle était dans une presque impuissance de se lever. Un mouvement brusque eût éclairé sa fille, l’eût avertie qu’elle s’était trahie, eût, pour ainsi dire, donné de l’air à cet incendie secret qui autrement, toute issue fermée, avait chance de s’étouffer peut-être. La sage mère s’en flattait encore, et elle contint au dedans toute pensée.

Une troisième fois, il revint, et il n’y avait pas de lettres davantage. Il insista de nouveau, lui, si convenable toujours, comme un homme que l’inquiétude égare un peu ; et qui ne prend pas garde de dissimuler. Elle, au milieu de la chambre, debout, plus pâle que lui, répondait par monosyllables sans comprendre, lorsque tout à coup, ne pouvant soutenir une lutte si inégale, elle se sentit chanceler, fit un geste comme pour se prendre à la grille, et tomba évanouie. La mère, qui, dès le commencement, n’avait rien perdu de ce trouble, s’arrachant précipitamment de son siége, où la clouait jusque là la douleur, et essayant de soulever la défaillante : « Oh ! monsieur ! s’écriait-elle elle-même égarée ; ma chère fille ! ma pauvre fille ! qu’en avez-vous fait ? Quoi ? monsieur,… vous ne devinez pas ? » Il s’était avancé pourtant, il avait franchi la grille, et était entré dans la petite chambre pour la première fois, — trop tard !

Bien souvent, entre les sentimens humains qui se pourraient compléter et satisfaire dans un mutuel bonheur, il y a pour obstacle… Quoi ? Ni muraille, ni cloison, ni grille de fer, mais une simple grille de bois comme ici, et entr’ouverte encore, et on regarde à travers, et on ne devine pas, et on meurt ou on laisse mourir !


Christel reprit ses sens avec lenteur ; elle vit, en rouvrant les yeux, Hervé près d’elle, comme s’il eût attendu son retour à la vie, et elle répondit à ce premier regard par un indéfinissable sourire. Il revint tous les jours suivans ; il ne demanda plus de lettres, et il n’en vint plus (du moins de cette main-là).


Un singulier et touchant concert tacite s’établit entre ces trois êtres. Nulle explication ne fut demandée ni donnée. La mère ne parla point en particulier à sa fille. Hervé, attentif et discret, vint, revint, et s’y trouva naturellement assis, chaque après-midi, pour de longues heures. Il apprécia, dès qu’il y eut tourné son regard, ces deux personnes si distinguées, si nobles vraiment. La faiblesse de Christel