à payer qu’une faible redevance. Ainsi les jours s’en vont, et au bout de l’année, il se trouve que nous avons encore de quoi acheter assez d’orge pour nous nourrir, assez de laine pour nous habiller. Le temps le plus rude fut celui où mes enfans étaient si jeunes, que pour m’occuper d’eux il fallait renoncer à mon travail de chaque jour ; mais les voilà qui grandissent, et bientôt ils pourront m’aider. »
À ces mots, elle jeta sur eux un regard tout joyeux, et les enfans semblaient, par l’expression de leur physionomie, confirmer son espoir. Pour moi, en l’écoutant parler avec tant de calme et de résignation, je condamnais toutes les élégies écrites sur des tristesses mensongères, et j’admirais cette sagesse de la Providence qui répand sous le chaume les germes féconds de l’espoir, et met dans le cœur des pauvres une source infinie de douces satisfactions.
Cette ville de Thorshavn, composée de quelques centaines de cabanes, est pourtant une ville de guerre. À l’entrée du port, on aperçoit une forteresse, construite autrefois par le héros des Féroe, Magnus Heinesen[1], pour protéger sa terre natale contre les invasions des corsaires. C’était jadis, disent les gens du pays, un bastion assez large, défendu par plusieurs bonnes pièces d’artillerie. Mais la guerre a éclaté, et le fort de Thorshavn a eu son jour de deuil et de désastre. La résignation passive avec laquelle il se soumettait à son sort, ne l’a point empêché d’être dévasté. En 1803, les pêcheurs de Nordœ signalèrent une frégate portant le drapeau français. Bientôt cette frégate apparut dans la rade de Thorshavn, et vint fièrement jeter l’ancre au pied de la forteresse. On reconnut alors que ce vaisseau, paré de notre pavillon, était une frégate anglaise, et il était facile de deviner ses intentions ; car le Danemark, allié à la France, se trouvait alors fort peu dans les bonnes graces de l’Angleterre. Le gouverneur ne pouvait penser à se défendre sans compromettre le sort de toute la ville ; il envoya à bord de la frégate douze hommes en qualité de parlementaires. Les Anglais les retinrent prisonniers. Il en renvoya douze autres, qui furent également arrêtés. Les habitans de Thorshavn, indignés d’une telle perfidie, voulaient courir aux pièces de canon et engager le combat ; mais les Anglais ne leur en donnèrent pas le temps. Ils descendirent à terre en grand
- ↑ C’était le fils d’un Norvégien qui s’établit aux Féroe, et, après la réformation, devint prêtre. Magnus se dévoua à la vie maritime et se distingua de bonne heure par sa hardiesse et son courage. Avec un bâtiment mal équipé et une troupe peu nombreuse, il s’en allait intrépidement à la rencontre des flibustiers anglais, allemands, qui infestaient alors les côtes d’Islande et des Féroe. Frédéric II, pour le récompenser de ses services, lui donna le commandement d’une corvette danoise. Ce fut avec cette corvette que Magnus s’empara d’un bâtiment anglais chargé de marchandises des Féroe. Les Anglais réclamèrent et prétendirent que leurs denrées provenaient des îles Shetland. L’ennemi juré des pirates fut lui-même accusé de piraterie, et paya de sa tête un crime supposé. Magnus fut exécuté en 1589. Peu de temps après, son innocence fut reconnue, et celui des juges qui avait le plus contribué à faire prononcer sa sentence, fut condamné à une amende considérable. Il existe aux Féroe plusieurs chants traditionnels sur ce héros du peuple.