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CHRISTEL.

dit. Ses lettres, à lui, étaient simples, sous enveloppe, sans cachet, adressées à Paris poste restante à un nom de femme qui ne devait pas être le véritable ; il semblait qu’elles fussent au fond bien plus sérieuses. Avec quelle émotion elle les pressait, quand elle y imprimait le timbre voulu !

Quel était-il, cet amour qui occupait tant le comte Hervé, qui l’avait arraché aux plaisirs d’une vie brillante, et le reléguait depuis près de six mois aux champs dans une unique pensée ? Peu nous importe ici ; et le récit en serait trop semblable à celui de tant de liaisons incomplètes et avortées. Une femme du grand monde, à laquelle il avait rendu de longs soins, avait paru l’accueillir, lui promettre quelque retour ; elle avait même semblé lui accorder, lui permettre sans déplaisir quelqu’un de ces gages qui ne se laissent pas effleurer impunément. Elle avait fait semblant de l’aimer un peu, ou elle l’avait cru. Des obstacles survenus dans leur situation l’avaient décidé, lui, à partir, à se confiner pour un temps dans cet exil fidèle. Elle lui témoigna d’abord qu’elle lui en savait gré, eut l’air de l’en aimer mieux, et se multiplia à le lui dire. Mais peu à peu, les obstacles ou les distractions aidant, elle se rabattit à l’amitié (grand mot des femmes, soit pour introduire, soit pour congédier l’amour), et elle en vint le plus ingénument du monde à oublier de plus douces promesses si souvent écrites, et même faites à lui parlant, et non-seulement de la voix.

On n’en était pas là encore ; pourtant il y avait quelquefois des rallentissemens dans la correspondance. Hervé semblait s’y attendre en ne venant pas, ou par momens il venait en vain.

Quand la correspondance allait bien, quand les cachets de Paris marquaient une pensée (car décidément, si royalistes qu’on les voulût faire, cela ne pouvait ressembler à un lis), quand chaque courrier avait une réponse d’Hervé, Christel le sentait avec une anxiété cruelle, et il lui semblait que le courrier qui emportait cette réponse lui arrachait, à elle, le plus tendre de son ame, le seul charmant espoir de sa jeunesse.

Mais si les lettres de Paris tardaient, s’il revenait plus d’une fois sans rien trouver, si, poli, discret, silencieux toujours, se bornant avec elle à l’indispensable question, il avait pourtant trahi son angoisse par une main trop vivement avancée, par quelque mouvement de lèvre impatient, elle le plaignait surtout, elle souffrait pour lui et pour elle-même à la fois ; pâle et tremblante en sa présence sans qu’il s’en doutât, elle lui remettait la missive tant attendue, à lui pâle