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Pourquoi Christel aima-t-elle le comte Hervé ? Pourquoi du second jour l’admirait-elle si passionnément ? Il vient, il entre et salue, et n’est que froidement poli ; pas une parole inutile, pas un regard. Elle ne le connaît que de nom et par une simple information dérobée aux propos voisins. Elle l’admire par ce besoin d’admirer qui est dans l’amour. Qu’a-t-il donc fait pour cela ? Comme si, pour être aimé, il était besoin de mériter. Il est beau, jeune, ému, fidèle évidemment, et peut-être malheureux : que faut-il de plus ? Il a de la grâce à cheval quand il repasse devant les fenêtres et qu’elle le voit monter. Il lui semble qu’elle connaisse tout de lui : oh ! combien elle compterait fermement sur lui, si elle était celle qu’il aime !

Ces lettres perpétuelles faisaient comme un feu qui circulait par ses mains et qui rejaillissait dans son cœur. Le courrier de Paris arrivait vers deux heures et demie, à l’issue du dîner ; bien peu après, dès que sa mère lassée commençait à sommeiller, Christel s’approchait sans bruit du bureau et faisait rapidement le départ ; puis elle prenait la lettre pour Hervé, mise tout d’abord de côté, et la tenait long-temps dans sa main, et non pas sans trembler, comme si elle se fût permis quelque chose de défendu. Elle la tenait quelquefois jusqu’à ce que sa mère s’éveillât ou que lui-même il vînt, ce qu’il faisait d’ordinaire vers quatre heures. Elle avait fini par lire couramment la pensée du cachet qui se variait sans cesse avec caprice, facile blason de coquetterie encore plus que d’amour, et qui ne demande qu’à être compris. Le cachet du jour lui disait donc assez bien la nuance de sentiment qu’elle allait transmettre, et fixait en quelque sorte son tourment. Elle voulait quelquefois s’abuser encore : l’empreinte de cire rose ou bleue lui montrait-elle une fleur, une pensée haute et droite sur sa tige comme un lis (le lis était alors fort régnant) : C’est peut-être un lis et non une pensée, se disait-elle. Mais le lendemain le lévrier fidèle et couché ne lui laissait aucun doute et la poursuivait de tristes et amères langueurs. Le lion au repos la faisait rêver ; à de certaines fois où il n’y avait autour du cachet que le nom même des jours de la semaine, elle respirait plus librement. Un jour, y considérant avec surprise une tête de mort et deux os en croix, elle se dit : Est-ce sérieux, n’est-ce qu’un jeu ? s’affiche-t-elle donc ainsi la douleur ?

Elle n’avait pas tardé non plus à distinguer, entre toutes, les lettres qu’il écrivait, tantôt mises dans la boîte par lui-même, qui revenait exprès pour cela, tantôt apportées par un domestique qu’elle eut vite reconnu. Son coup d’œil saisissait, sans qu’un seul mot fût